Prenez vos gants de boxe. Une audition à l’Assemblée nationale, c’est parfois un vrai sport de combat. Il faut savoir esquiver, feinter, et mettre un coup à ses adversaires. Soyez rassurés, Michel-Édouard Leclerc assure vos arrières. Car c’est une performance qu’a livrée le président du groupe E.Leclerc devant les députés de la commission des Affaires économiques, le 25 novembre 2025, accompagné de son bras droit, Philippe Michaud, président exécutif.

Interrogés sur le rôle de la grande distribution dans les inégalités de répartition de la valeur entre agriculteurs, industriels et distributeurs, les représentants du premier distributeur en France ont botté en touche, pendant deux heures et quinze minutes d’audition. Ce sont pourtant des « décalages abyssaux » dont fait état l’Observatoire de la formation des prix et des marges, souligne Mélanie Thomin, (Parti socialiste) : « Sur 100 € dépensés en alimentation par les consommateurs, seuls 6,40 € reviennent aux agriculteurs contre 15,50 € pour la distribution. »

Échapper à Egalim

Le principal grief reproché au distributeur ? Les centrales d’achat européennes, revenues soixante fois dans le débat. En centralisant leurs achats, notamment alimentaires, au niveau européen via ces plateformes, les distributeurs négocient plus facilement avec des multinationales et font des économies d’échelle. En théorie. Car en pratique, les députés jugent qu’il s’agit aussi d’un moyen pour les distributeurs d’échapper à la loi française en souscrivant à celle du pays dans lequel est domiciliée la centrale d’achat.

Pour preuve, les élus citent Eurelec, la centrale d’achat européenne qui sous-traite la négociation de E.Leclerc. « Cette centrale regroupe trois distributeurs : un néerlandais, un allemand et Leclerc côté français. Or les contrats conclus par les centrales néerlandaises et allemandes sont soumis au droit de leur pays respectif, tandis que ceux conclus par Leclerc relèvent, eux, du droit belge. […] L’objectif n’est-il pas clairement d’échapper au droit français ? » interroge Anne-Sophie Roncerey (Ensemble pour la République). La règle à fuir : les lois Egalim, qui visent à rééquilibrer les négociations commerciales, notamment avec une date butoir : le 1er mars. Une date qui avait d’ailleurs valu une amende de 38 millions d’euros au distributeur en 2024.

La question reste sans réponse la première fois : « j’ai peur de ne pas avoir le temps […] C’est un sujet un peu long », s’excuse Philippe Michaud qui promet d’y « revenir » par la suite. C’est que le programme est minuté : soixante secondes de réponse par question de député.

Après une heure et cinquante minutes d’entretien, Annaïg Le Meur (Ensemble pour la république), « têtue », persiste et reprend la question de sa collègue. Philippe Michaud entre sur le ring : « On ne peut pas imposer [la date nationale du 1er mars] à nos partenaires allemands ou belges ! » Avant de lâcher : « Après chacun fait ce qu’il veut. Que ça déplaise ou pas. On respecte énormément la loi en France pour tout ce qui est logistique, tout ce qui est distribution, tout ce qui est mis en commercialisation. » Entendez pour le reste….

Le coup de grâce est géographique. « Pourquoi on a mis Copernic [la centrale d’achat de service de Leclerc, construite avec deux autres concurrents italiens et belges] en Belgique ? Parce que le train, c’est juste ça ! » affirme Michel-Édouard Leclerc. Pour les Italiens de Boulogne, ce serait plus facile « d’arriver à Bruxelles », d’après le président. Pourquoi faire onze heures de train jusqu’à Paris quand on peut faire treize pour arriver dans la capitale belge ?