Un vote « historique », « inopérant » ou, de manière plus mesurée, une « première pierre », dans la garantie d’un revenu aux agriculteurs ? L’adoption de la proposition de loi sur les prix planchers, une mesure qui a fait sa place dans les revendications agricoles de cet hiver, a été accueillie différemment par les acteurs du monde agricole.
C’est dans un hémicycle clairsemé que l’Assemblée nationale a voté, le jeudi 4 avril 2024, la proposition écologiste visant à « garantir un revenu digne aux agriculteurs et à accompagner la transition agricole ».
Alors que le président de la République avait annoncé l’instauration de prix planchers à l’ouverture du Salon de l’agriculture, le ministère de l’Agriculture pointe dans la proposition de loi, un dispositif d’instauration de prix minimal « inopérant et porteur de risques pour les filières » malgré le partage de « l’ambition de départ de cette proposition de loi ».
Qu’est ce qui a changé ? « Les solutions et la méthode proposée » ne conviennent pas au ministère qui s’inquiète de la création d’un prix réglementé « arrêté par l’État ». Pourtant, la proposition adoptée prévoit bien l’instauration du prix via une « conférence publique de filière » qui « détermine un nouveau prix minimal d’achat des produits agricoles » par une démarche volontaire, établie à la demande de la majorité des producteurs.
L’État interviendrait seulement « si la conférence publique ne parvient pas à déterminer un prix minimal d’achat ». Dans ce cas, « le médiateur des relations commerciales agricoles remet aux ministres chargés de l’économie et de l’agriculture un compte-rendu de la négociation interprofessionnelle permettant aux ministres d’arrêter un prix minimal », précise le texte de loi.
Un texte du gouvernement attendu
Dans une interview accordée à Public Sénat la veille de l’examen du texte, Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, avait précisé que le dispositif mis en place par la proposition n’était « pas la formule qu’il souhaitait ». Il appelait à « prendre le temps », pour intégrer les conclusions de la mission parlementaire d’évaluation des lois Egalim par deux députés de la majorité.
Le ministre a promis le dépôt d’un texte devant l’Assemblée pour le début de l’été à ce sujet : « L’idée, c’est de regarder les coûts de production et à partir de là se construit le prix. On ne peut pas acheter à un producteur en deçà d’un prix qu’on peut appeler prix plancher », a détaillé Marc Fesneau.
Une proposition qui reste pour l’instant similaire au texte adopté par l’Assemblée le 5 avril.
Une étape pour les syndicats
La Confédération paysanne, défenseuse de l’obtention des prix planchers dans la mobilisation agricole, a accueilli l’adoption de la proposition de loi comme une « victoire d’étape ». « Une majorité a reconnu la nécessité d’agir pour garantir un revenu digne aux paysans et paysannes. Cela ne peut effectivement plus attendre ! » a écrit le syndicat sur X (anciennement Twitter).
#revenupaysan Nous saluons l’adoption par @AssembleeNat de la PPL portée par @MariePochon@EcolosAN. Une victoire d’étape : une majorité a reconnu la nécessité d’agir pour garantir un revenu digne aux paysan·nes. Cela ne peut effectivement plus attendre ! https://t.co/cTHDAp55MU
— Conf' Paysanne (@ConfPaysanne) April 5, 2024
L’ONG Greenpeace s’est également réjouie de ce vote « historique » et « nécessaire pour assurer des revenus dignes [aux agriculteurs] ». « C’est une grande avancée pour le monde agricole », a précisé Clara Jamart, responsable de la campagne sur l'agriculture pour Greenpeace.
Le Modef, « pas naïf » sur un combat qui ne « s’arrête pas là », s’est tout de même réjoui d’une « première pierre » par la voix de sa vice-présidente Lucie Illy. L’arboricultrice en production biologique souligne que « ces mesures vont de pair avec d’autres attendues comme celle des coefficients multiplicateurs ou des quotas ».
Application complexe
« On se pose la question quant à la juste application de ces bonnes volontés », craint de son côté la vice-présidente de la Coordination rurale, Sophie Lenaerts. Si l’éleveuse salue que les partis politiques « prennent à bras-le-corps le sujet de la rémunération des agriculteurs », elle avertit : « Si on laisse entrer les produits étrangers à bas prix, ça n’arrangera pas l’agriculture française. »
Du côté de la FNSEA, l’adoption de la proposition de loi « permet d’ouvrir le débat », soutient Yohann Barbe, porte-parole du syndicat. Mais l’éleveur laitier, qui craint la transformation de prix planchers en prix plafonds, s’attache à les distinguer des indicateurs.
Pour lui, ces derniers permettent au contraire d’avoir une valeur de base tout en « cherchant de la qualité » en réalisant de la segmentation positive, via des primes par exemple. La FNSEA attend désormais le passage au Sénat et en deuxième lecture à l’Assemblée pour étoffer un texte voté « rapidement ».
Le texte doit encore être voté au palais du Luxembourg avant d’être promulgué. Face à un potentiel quatrième Egalim issu du gouvernement et un Sénat à majorité Les Républicains (groupe qui était absent lors du vote à l’Assemblée), l’issue de la proposition écologiste reste incertaine.