« Si [la guerre] éclate, que les Français le comprennent bien, c’est sur nos agriculteurs, et sur eux seuls, qu’il faudra compter pour nous nourrir. », a prévenu Annie Genevard, ministre de l’Agriculture devant cinq cents personnes dans une salle du marché de Rungis lors du « Grand réveil alimentaire » ce lundi 8 décembre 2025. C’est dans ce cadre qu’ont été lancées les conférences pour la souveraineté alimentaire. Elles prendront la forme de plusieurs rendez-vous pour sept filières (grandes cultures, fruits et légumes, viandes blanches, ruminants, viticulture, productions végétales spécialisées, pêche et aquaculture).

Elles réuniront interprofessions, syndicats, industriels et acteurs de la distribution sous l’égide des techniciens de FranceAgrimer, la branche technique du ministère de l’agriculture dans le suivi quotidien des filières agricoles. Les conférences nationales seront accompagnées d’un volet régional, destiné à faire un état des lieux des initiatives existantes. Un rapport devrait être rendu à l’été.

Plans de filières pour 10 ans

L’ambition gouvernementale de ces conférences est de partir des attentes du consommateur et de « porter une réflexion collective qui aboutira à redessiner nos paysages et notre carte de production à horizon 10 ans » soutient la ministre.

Dans la salle, des parlementaires, représentants de la distribution, du monde agricole mais aussi environ 80 élèves. La souveraineté alimentaire ? Ça leur évoque vaguement quelque chose « mais ce n’est pas vraiment ce qu’on étudie ». « C’est au programme du BTS Acse », leur rappelle leur professeur d’économie qui les accompagne. « Il faut voir s’il y a du concret qui en ressort », glisse un élève circonspect.

La matinée du "Grand réveil alimentaire" visait à officialiser le lancement de conférences pour la souveraineté alimentaire des prochains mois. (© J.Mâlin / GFA )

Une police pour protéger l'agriculture française

Du concret ? En amont de ces conférences, la ministre dessine quatre lignes « directrices » pour reconquérir la souveraineté : la protection de l’agriculture française, via la proposition d’une « police spécialisée pour garantir que les contrôles seront effectués », l’investissement dans les filières et la transformation, grâce à une nouvelle aide de la banque publique d’investissement français (BPI), « destinée à accélérer le financement de l’innovation dans les entreprises agro-alimentaires ».

La ministre veut aussi mettre en place un fonds souverain agricole, idée déjà distillée il y a quelques mois, pour « permettre aux épargnants qui aiment les agriculteurs de choisir d’investir dans leur alimentation ».

La dernière ligne tracée par la ministre est de « réveiller la conscience des consommateurs » soutient celle qui a proposé de « faire de l’éducation à l’alimentation la grande cause nationale 2026 ». Car les consommateurs ont parfois du mal à faire le lien entre « ce qu’il choisit d’acheter pour se nourrir et les conséquences que ça a sur son territoire » regrette-t-elle.

Anticiper le réchauffement climatique

La souveraineté alimentaire, s’observe à l’aune de deux grands enjeux. Le climat d’abord : « On n’aura pas de souveraineté alimentaire si on ne prend pas en compte le réchauffement climatique », alerte Serge Zaka, ingénieur en agronomie. Par exemple, l'abricot Bergeron, produit le long de la vallée du Rhône, peut désormais être cultivé dans le bassin parisien.

Pour lui, il ne faut pas uniquement réfléchir à l’échelle nationale : « La France a aussi le rôle de produire pour les pays du Sud » qui ne pourront plus produire autant, comme l’Espagne, ou le Maroc. Dans le contexte géopolitique tendu, il avertit : « Il n’y a pas que l’arme nucléaire, il y a aussi l’arme du frigo vide ».

Ce « frigo vide » impose à la France de déployer une « sécurité alimentaire » appelle Sébastien Abis, directeur du club Demeter, regroupant des entreprises du secteur agricole, agro-industriel et alimentaire. « Investir dans la souveraineté alimentaire, c’est investir dans notre sécurité collective. […] 450 millions de citoyens ne doivent pas dépendre [des importations d’autres pays] », soutient Benjamin Haddad, ministre chargé de l’Europe.

Le saumon, ici distribué lors du buffet a été pris comme exemple par les participants comme un produit largement importé en France, faute de filière nationale. (© J.Mâlin / GFA )

« Pour que les jeunes veuillent continuer à devenir agriculteur, il faut qu’ils aient un cap », interpelle de son côté Margot, jeune agricultrice dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, lors d’une table-ronde sur le regard des jeunes face au défi de la souveraineté alimentaire. Prises de parole de différents experts, diffusion d’un micro-trottoir auprès des consommateurs, bon nombre de vidéos de directeurs d’entreprises agro-alimentaires sur leur engagement en faveur de la souveraineté alimentaire, avant un buffet « origine France ».. Le « Grand réveil alimentaire » s’est fait en grande pompe ce lundi, malgré l’absence de la majorité des syndicats agricoles.

Boycott de syndicats

Dès l’annonce de l’événement, la FNSEA boycottait l’évènement, qui, pour elle, « s’apparente davantage à une opération de communication qu’à un temps de travail partagé ». La Coordination rurale a elle aussi décliné l’invitation. Tandis que la Confédération paysanne veut éviter cette « mascarade ». « Emmanuel Macron et son gouvernement doivent stopper l’accord UE-Mercosur et réellement agir pour bâtir notre souveraineté alimentaire. Le « Grand Réveil Alimentaire », c’est le 18 décembre à Bruxelles [date de l’ouverture du conseil européen pour discuter du Mercosur N.D.L.R], pas le 8 décembre à Rungis. », appellent les porte-paroles du syndicat dans une tribune publiée le matin même.

Seuls les représentants du Modef et de Jeunes agriculteurs ont choisi d’assister au lancement. « On y voit un vecteur de discussion », observe Pierrick Horel, président de Jeunes agriculteurs. Maintenant, « on a besoin de passer par la phase concrète » et éviter de « s’éterniser dans des constats. L’idée c’est d’emmener tout le monde » espère l’agriculteur.

Les dernières discussions qui avaient embarqué de concert les agriculteurs, la transformation et la grande distribution date d’à peine dix ans, lors des États généraux de l’alimentation (transformés depuis en lois Egalim) en 2017. À Rungis déjà, le président de la République Emmanuel Macron avait appelé à redistribuer la valeur et à favoriser la montée en gamme des produits. Dix ans plus tard, alors que le consommateur est érigé en ligne directrice, c’est un virage à 90° qui est pris, alors que la schizophrénie du consommateur citoyen – réclamant une agriculture de qualité, mais pas prêt à la payer — a été pointée du doigt à plusieurs reprises par les participants.