Pourquoi avoir écrit ce livre ?
« Avant de dire qu’on est pour ou contre la méthanisation, il est important de s’informer sur la filière, les procédés… pour pouvoir juger en ayant un maximum de connaissances, au travers de ce type d’ouvrage par exemple. Il nous a semblé important de regrouper au sein d’un unique document un certain nombre de connaissances sur une thématique de grand intérêt socio-économique : la méthanisation. Aujourd’hui, on entend tout et son contraire sur la méthanisation. L’idée est donc d’apporter un regard objectif, qui torde le cou à certaines idées reçues ou en abonde d’autres. L’objectif n’est pas de prêcher pour la méthanisation, ou au contraire, de s’y opposer mais d’être factuel au travers de l’expertise de chercheurs dans le domaine.
Quel avenir pour la méthanisation agricole ?
La méthanisation a, selon moi, un bel avenir devant elle à partir du moment où elle est conduite correctement. Si elle est menée intelligemment, cette technologie est bénéfique. Les enjeux d’échelles sont importants. Il y a d’un côté la micro-méthanisation qui s’oppose à la méga-méthanisation avec des énormes consortiums. Pour moi, il faut se diriger vers une micro-méthanisation, quasi à l’échelle de l’exploitation ou en regroupement de quelques exploitants. En somme, une petite méthanisation agricole. Ensuite, il ne faut pas développer l’agriculture pour alimenter un méthaniseur. Initialement, cela n’a pas été créé pour ça et on a malheureusement tendance à y tendre. La méthanisation doit servir à valoriser des déchets, éventuellement faire un peu d’intercultures, mais pas pour faire de la culture dédiée qui viendrait en concurrence avec la culture alimentaire.
On stigmatise parfois la méthanisation en France, en limitant par exemple à 15 % le taux d’intrants pour les cultures non dédiées… En revanche, cela ne gêne en rien d’avoir 100 % de surfaces agricoles dédiées au bioéthanol. Lorsque c’est pour alimenter le réservoir de la voiture, personne n’est gêné. A contrario, lorsque c’est pour alimenter un méthaniseur, cela gêne tout le monde. Il y a là un paradoxe, à la fois politique et citoyen. Certains agriculteurs se posent aujourd’hui la question de la pérennité de leur méthaniseur en raison du changement régulier de la réglementation et des nouveaux investissements qu’ils doivent faire. Pour l’agriculteur, la méthanisation offre l’opportunité de diversifier ses rentrées économiques. Elle permet de pallier certains problèmes, évènements climatiques ou autres et d’assurer un revenu minimum. Toutefois, il ne faut pas aller vers « une méthanisation intensive ».
Comment expliquer le manque d’acceptabilité des nouveaux projets ?
Le manque d’acceptabilité vient d’un manque de connaissance. C’est une technologie récente et beaucoup de points sont encore controversés ou pas bien connus. La notion d’acceptabilité est un sujet important, qui fait d’ailleurs l’objet de la thèse d’Aude Dziebowski. Celle-ci n’est pas forcément adaptée. Il serait préférable de parler plutôt d’appropriation. On explique alors aux gens ce que l’on va faire, quels sont les avantages et les inconvénients, pour leur permettre de s’approprier les choses. Si l’on fait de la pédagogie avec toutes les connaissances scientifiques dont on dispose, il me semble que les gens ont la capacité de comprendre.

La plupart du temps, les personnes ont une opposition de posture. Derrière, elles ne possèdent pas d’arguments solides pour étayer et expliquer leur position. Tout ça n’est pas très objectif. On peut faire un parallèle avec la vaccination contre le Covid, il y avait une pléthore d’opposants mais quand on leur demandait pourquoi, scientifiquement cela ne tenait pas forcément très bien la route. C’était surtout de la posture. Quand on sait la science qui y a derrière, on se pose beaucoup moins de questions. Pour la méthanisation, c’est la même chose. Lorsqu’on maîtrise un peu la science, on est moins réfractaire.
On ne peut pas demander au citoyen de maîtriser la science, mais c’est aux scientifiques de convaincre et d’apporter des réponses, au travers de ce type d’ouvrage. Pour que les gens non pas l’acceptent mais se l’approprient et in fine l’acceptent, il faut travailler à la communication d’un message clair et objectif sur le sujet. Ensuite, le message doit être relayé par les agriculteurs ainsi que les décideurs que sont les pouvoirs publics. Il y aura toujours des récalcitrants, on n’aura jamais 100 % d’acceptation. Le but est d’aller vers le plus proche du consensus et il reste du travail à accomplir en ce sens.
J’ai à l’esprit l’exemple d’un agriculteur qui a monté un méthaniseur dans son village. Sa ferme et son méthaniseur se trouvent accolés à des maisons d’habitation, à seulement quelques dizaines de mètres, mais cela n’a posé aucun problème aux riverains. Il a su expliquer clairement son projet et a proposé que le gaz produit soit utilisé pour le chauffage collectif au niveau de la commune. En chauffant, l’école, la mairie et d’autres installations publiques, les habitants de la commune ont compris l’intérêt du méthaniseur. Lorsque c’est expliqué de la sorte, le projet passe comme une fleur. Il n’y a eu aucun opposant pour ce projet alors que le méthaniseur est très proche de la maison du voisin. Comme quoi si l’appropriation est faite, l’acceptabilité suit. Cet ouvrage a également se rôle là ».
Pour faire connaître leur livre au plus grand nombre, les trois co-directeurs ont prévu une Journée de lancement le 27 novembre 2023, à Strasbourg. Cette journée sera l’occasion de rencontrer la plupart des contributeurs au travers de présentations et de tables rondes autour de la méthanisation.
« Dès qu’un agriculteur entame un projet de méthanisation, les gens ne le reconnaissent plus » (06/10/2023)
(1) Titulaire de la chaire industrielle Méthanisation en Région Grand Est (MERGE) et directeur de la Zone Atelier CNRS Environnementale Rurale Argonne (ZARG).
(2) Professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg et co-animateur de l’axe Dynamiques territoriales du laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe (SAGE, UMR CNRS).
(3) Doctorante en sociologie au sein du laboratoire SAGE dans le cadre du projet Enjeux socio-environnementaux de la Méthanisation Agricole : Transition énergétique, Identités Professionnelles et « nouvelles ruralités » (METHATIP).