Les chercheurs ont conduit une enquête approfondie à Seyne-les-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence) à la suite de « l’affaire Ferrand » (1). Cette affaire avait fait grand bruit en 2015. Un adolescent de 16 ans déclarait s’être fait attaquer par des loups, pendant la nuit du 5 et 6 juin. De nombreux médias avaient mis en doute les affirmations du jeune garçon.

 

Mais pour les chercheurs, spécialistes des activités d’élevage confrontées aux loups, « ces déclarations n’étaient peut-être pas si surprenantes. Les grands prédateurs peuvent manifester une habituation, ou familiarisation, envers les humains encouragée notamment par un statut de protection stricte », expliquent Laurent Garde et Michel Meuret.

Une zone non encore répertoriée ZPP

Pour vérifier s’il y avait effectivement des signes de changement de comportement des loups envers les humains et si ceux-ci engendraient des risques nouveaux sur l’élevage de bovins, les chercheurs ont recueilli les témoignages de nombreuses personnes habituées des lieux.

 

Au moment des faits, la zone de Seyne-les-Alpes, qui offre des habitats favorables aux ongulés sauvages (chamois, chevreuils, mouflons…) n’est pas répertoriée comme une zone de présence permanente (ZPP) des loups. Pourtant nombreux sont qui ont déjà rencontré les prédateurs de façon inopinée.

 

« Nous avons recueilli neuf témoignages, dont le lieutenant de louveterie, faisant état de leur rencontre avec un groupe de loups, ajoute Laurent Garde. Pour les chasseurs ces rencontres ont eu lieu en montagne, mais parfois aussi en lisière des près et à proximité d’habitations. Un chasseur à l’arc s’est même fait aborder par deux canidés subadultes. »

 

En l’absence de validation de surfaces de territoires de meute aussi étendues (doubles de celles utilisées dans la littérature traitant de l’Europe du sud), les enquêteurs ont privilégié l’hypothèse d’une meute non encore identifiée.

Les vaches deviennent ingérables et dangereuses

D’autres chasseurs enquêtés affirment aussi que depuis trois ou quatre ans, chamois et chevreuils ont changé de comportement et se sont raréfiés. Pour les chercheurs, le comportement des ongulés sauvages devenus très méfiant, ainsi que leur apparente raréfaction pourrait expliquer un report de prédation sur les bovins.

 

Dans le secteur, les éleveurs de bovins allaitants majoritaires, constatent que leurs animaux changent aussi de comportement après les attaques. « Certains fuient à plusieurs kilomètres après avoir brisé clôtures et barrières, rapporte Michel Meuret. Des animaux sont devenus ingérables, et même parfois dangereux pour leur éleveur. Ils doivent être réformés.

 

Nos contacts scientifiques aux États-Unis, pays où les bovins domestiques sont aussi la proie des loups, nous confirment que les bovins, même déjà habitués aux coyotes, pumas et ours, sont au départ très naïfs envers les loups, surtout lorsque ceux-ci attaquent en meute. D’autre part, les pratiques de sélection en élevage ont souvent privilégié les animaux non agressifs. Les éleveurs américains confirment également le changement de comportement des bovins après une expérience négative avec les loups. Elle est constamment apeurée y compris vis-à-vis des chiens qu’elle connaît bien. »

« Un témoignage sincère, crédible, et cohérent »

Bref, ces faits antérieurs survenus dans la zone de l’attaque du jeune adolescent, conduisent les chercheurs à considérer son témoignage comme « sincère, crédible et cohérent ». La rencontre entre l’éleveur et ses fils et les loups étaient la neuvième en un mois sur le pré. « Ces loups connaissaient déjà ces humains-là », ajoute Michel Meuret, précisant que les prédateurs sont dotés de grand talent d’observation et de flairage.

 

« L’ensemble des résultats d’enquête fait sens à partir du moment où l’on ne considère pas « l’affaire Ferrand » comme un fait isolé de son contexte, souligne Laurent Garde. Il y a eu un processus long et interactif de modification des comportements de plusieurs catégories d’êtres interagissant de part et d’autre de la lisière, loups, ongulés bétail humains, jusqu’à une approche d’un humain vulnérable par les loups. »

 

Pour les chercheurs, ces évolutions ont des conséquences pour le territoire : une baisse d’attractivité cynégétique et récréative, si ce n’est déjà un risque en matière de sécurité civile. « Il y a déjà d’ores et déjà atteinte à la viabilité des élevages de bovins conduits à l’herbe.

 

« Il ne s’agit pas d’une faillite des politiques publiques, estime Laurent Garde. Mais les politiques publiques basées sur une idéologie qui a fait faillite. On a mis la logique à l’envers. On a cru pendant 20 ans que les humains pouvaient s’adapter au loup qui avait tous les droits. Les loups qui s’enhardissent qui perdent leur caractère d’animal sauvage engendrent une situation totalement inconnue sur laquelle nous n’avons ni « plan A » ni « plan B ». Nous sommes perdus car cette situation n’a pas de précédent. Il faut inverser le processus et réapprendre au loup à s’adapter. »

 

(1) les chercheurs présentaient les résultats de leur enquête vendredi à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence. L’ensemble de l’enquête « Quand les loups franchissent la lisière : expériences d’éleveurs, chasseurs et autres résidents de Seyne-les-Alpes confrontés aux loups » est téléchargeable sur la page Actualités de l’Inra-SAD : http://www.sad.inra.fr/Toutes-http://www.sad.inra.fr/Nos-recherches/Coadaptation-predateurs-humains.ute;seau de chercheurs COADAPHT : http://www.sad.inra.fr/Nos-recherches/Coadaptation-predateurs-humains.