Devant les députés, les cinq syndicats agricoles ont fait part de leur forte opposition à la signature de l’accord de libre-échange entre les pays du Mercosur et l’Union européenne. Des représentants de la FNSEA, de la Coordination rurale, de Jeunes Agriculteurs, de la Confédération paysanne et du Modef étaient auditionnés, ce 23 septembre 2025, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Une fois n’est pas coutume, ils sont unanimes : ils demandent tous le rejet du traité sans ambiguïté.
Concurrence déloyale
« Nous sommes hostiles à une forme de commerce dans lequel l’Europe n’exerce pas une forme de réciprocité, a déclaré le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau. Nous sommes favorables à des échanges agricoles. […] Pour autant, il faut le faire avec des règles qui sont des règles de réciprocité. […] Cet accord n’a pas de mesure miroir, de mesure de réciprocité qui permettrait que les échanges s’effectuent de manière loyale et sans distorsion de concurrence », a-t-il poursuivi, qualifiant l’accord de « déséquilibré. »
« C’est un véritable agricide qui se prépare, la faillite annoncée de milliers d’agriculteurs et la capitulation devant la Commission [européenne] », dénonce la présidente de la Coordination rurale. Véronique Le Floc’h pointe aussi que la signature de l’accord entraînerait « la fin de la souveraineté alimentaire » de l’Union européenne. « C’est comme si l’Europe s’inscrivait dans une baisse de production compensée par les importations. L’Europe doit pouvoir répondre à sa propre demande », défend-elle. La Coordination rurale demande l’exception agriculturelle (soit le fait que l’agriculture ne soit pas dans les accords internationaux) et s’oppose à l’inclusion de l’agriculture dans les accords de libre-échange.
« La Commission joue un double jeu »
« La Commission européenne semble jouer un double jeu, d’une main elle serre la main de Trump et du Mercosur, de l’autre elle baisse le budget de la Pac pour les agriculteurs. Chez JA, nous nous considérons comme pro-européens et nous attendons une autre politique », revendique Quentin Guillous, secrétaire général de Jeunes Agriculteurs. Il dénonce « les incohérences dans les normes ». « L’Union européenne impose des règles strictes aux agriculteurs mais ouvre les marchés à des produits non conformes à ces règles, des produits que nous produisons déjà en quantité suffisante sur le territoire français et européen », poursuit-il.
De son côté, la Confédération paysanne partage les constats, et « se félicite de voir naître une voie commune qui rejoint la position historique de la Confédération paysanne » contre les accords de libre-échange. Mais pour Stéphane Galais, porte-parole du syndicat les enjeux « dépassent la corporation agricole ». Le syndicat veut aller chercher le soutien des citoyens et des parlementaires. « Nous avons besoin d’un front large. Il faut un pacte sociétal clair, estime Stéphane Galais. […] Les décideurs politiques doivent avoir le courage de la clarté et assumer une position politique courageuse. »
Pour le Modef, « il est temps de sortir l’agriculture de tous les accords de libre-échange ». « Il n’y a pas longtemps nous étions tous dehors pour réclamer un revenu décent, qui pourrait être réalisé grâce à la régulation des marchés », revendique Nicolas Guitard. « L’Union européenne choisit d’abandonner, d’ignorer ceux qui nous nourrissent, dénonce le secrétaire national du Modef. Nous appelons les eurodéputés et les États membres de l’Union européenne à rejeter les traités de libre-échange et à défendre les paysans. »
Avis sur les clauses miroirs
Tout comme JA, la FNSEA estime que les clauses de sauvegarde, promises par la Commission européenne lors du lancement du processus de ratification de l’accord le 3 septembre 2025, ne seront pas efficaces à ce stade. « Pourquoi ? Car elles sont unilatérales », tance Arnaud Rousseau, qui prévient : « On parle dans les clauses de sauvegarde de prix et de volumes, ce qui sur le fond est une bonne chose, mais elles prévoient des standards annuels de plus ou moins 10 % [des prix et volumes]. Inutile de vous dire dans un accord de cette nature, je pense que les autres pays auront à cœur de ne pas dépasser les 10 %. […] »
Pour la Coordination rurale, il n’y a pas assez de contrôles pour qu’elles soient opérantes. « Les clauses miroirs ne peuvent être effectives étant donné le faible volume de produits contrôlés, abonde Véronique Le Floc’h. Il faut faire acter l’exception agriculturelle [dans les traités de libre-échange], on attend ce courage politique. »
Division sur la possibilité d’un moratoire
Interrogés par le député du RN, Hervé de Lépinau sur leur position sur un éventuel moratoire concernant les accords de libre-échange, les syndicats sont divisés sur ce point. Pour la FNSEA et JA c’est oui, mais à court terme seulement. Les deux syndicats restent favorables au libre-échange, à condition qu’il soit « régulé » pour Quentin Guillous et que « l’agriculture ne soit pas la variable d’ajustement permanente » pour Arnaud Rousseau.
La Confédération paysanne, de son côté, rejette l’idée d’un moratoire. « Un moratoire c’est une suspension, nous sommes plutôt favorables à une opposition ferme et franche », éclaircit Stéphane Galais.
Des mobilisations à venir
La FNSEA et JA ont prévu une journée de mobilisations le 26 septembre 2025, « pour interpeller ». Les 27 représentants des organisations professionnelles agricoles européennes membres du Copa (syndicats européens) et le Ceja (syndicats des jeunes agriculteurs européens) se sont positionnés contre l’accord, font savoir Arnaud Rousseau et Quentin Guillous. Ces derniers entendent interpeller les parlementaires français et européens pour bloquer le vote.
La Confédération paysanne appelle, quant à elle, à se mobiliser à Paris le 14 octobre prochain. Le Modef lance une perche pour mener une mobilisation commune, estimant que pour rassembler les agriculteurs qui ne sont pas syndiqués, il faudrait une action commune de tous les syndicats. Le Modef avait déjà appelé les autres syndicats à s’unir contre le Mercosur lors de sa conférence de rentrée.
La Coordination rurale a annoncé se mobiliser prochainement avec le mouvement citoyen Les Gueux et souhaite « travailler avec tous les parlementaires qui le souhaiteraient » pour mettre en œuvre l’exception agriculturelle par une « une charte de l’agriculture qui serait inscrite au niveau de constitution ».