Que reste-t-il du Tanger légendaire, celui des écrivains et des artistes, des Eugène Delacroix, Henri Matisse, Antoni Gaudí, Joseph Kessel, Paul Bowles, Tennessee Williams, Truman Capote, William Burroughs, et autres Jack Kerouac ? À défaut des vieux témoins qui se font rares, il reste des lieux comme la mythique Librairie des Colonnes où l’on pouvait croiser Jean Genet. Sauvée en 2010 par Pierre Bergé, rachetée après sa mort par Fadel Iraki, homme d’affaires, amoureux des arts et de ce patrimoine des lettres.
Une vue imprenable sur Gibraltar
Mais inutile de réduire la cité à ses personnalités et ses mythes, car la troisième ville du Maroc (en termes de population) renaît sous Mohammed VI alors qu’elle était mise à l’index sous Hassan II. Elle continue d’ensorceler les étrangers. On retrouve les plus nantis sur la montagne. Ici, Tanger la « grouillante » s’efface devant Tanger « l’élégante ».
Comptez quelques millions d’euros pour une maison avec une vue imprenable sur Gibraltar comme celle construite par Malcom Forbes, ex-magnat de la presse, ou celle de Bernard-Henri Levy, ou encore la fameuse villa Mabrouka d’Yves Saint Laurent. La montagne protège encore l’âme des fastes tangérois. Mais c’est au centre-ville, loin des limousines en warning, plus affairé, plus tumultueux, que se trouve la relève. Ici, la mer rappelle que la perle du détroit est depuis la nuit des temps un port franc.
Avec ceux qui ravivent les grandes heures de la ville blanche, comme la librairie-galerie Les insolites, nichée dans une rue piétonne et fière de son illustre parrain, Mahi Binebine, peintre et star nationale. Sa propriétaire, Stéphanie Gaou, a allumé un nouveau foyer. Elle connaît bien sa réalité et vend tout aussi bien sa légende. Même combat pour la photographe Yto Barrada et le producteur français Cyriac Auriol.
Tanger leur doit la restauration du cinéma Art déco, le Rif, où ils ont ouvert en 2007 la Cinémathèque, sur la place du Grand Socco. Ce « Paradiso » made in Morocco offre petite restauration et grands classiques à l’affiche.
Le poumon économique du pays (avec son port) reste aussi unique que multiple. Il se métamorphose, s’agrandit, et demeure à jamais une porte d’entrée magnifique sur l’Afrique.
Martine Guilcher