Où en est la réutilisation des eaux usées en France ?

« La France est très en retard concernant la réutilisation des eaux usées traitées (Reut), observe Philippe Carrio. Nous sommes à moins de 1 % des volumes d’eaux usées réutilisées contre environ 10 % en Italie, 14 % en Espagne et même 90 % en Israël. L’objectif en France est d’atteindre 10 % en 2030, mais je vois mal comment y arriver. »

« Les agences régionales de santé sont réticentes à la réutilisation de ces eaux. Même si la réglementation a évolué en 2020 pour permettre des expérimentations pour cinq ans, très peu de projets se sont concrétisés, car les études et analyses requises coûtent très cher alors qu’aucune visibilité sur le long terme n’était possible. »

« Le décret publié à la fin d'août 2023 dans le prolongement du plan Eau du gouvernement supprime la durée de cinq ans pour les projets, mais l’Europe pourrait introduire prochainement une durée de six ans, dans le cadre de la révision de la directive sur les eaux résiduaires urbaines (Deru). Il y a une décorrélation entre l’objectif d’atteindre 10 % d’eau réutilisée en 2030, et la réglementation actuelle, même si des avancées sont notées. »

Des projets ont-ils tout de même vu le jour ?

« Oui, le projet Jourdain en Vendée par exemple, une zone en forte tension sur l’eau potable, illustre le président du Syndicat national des entreprises spécialisées dans la conception et la construction d’installations de traitement de l’eau. Il a mis sept ans à émerger et a été inauguré en novembre 2023. 2 millions de mètres cubes par an d’eaux usées initialement rejetées en mer seront traitées pour fournir de l’eau potable (sur les 8 millions de m³ par an de déficit sur ce département). »

« Pour s’assurer de la qualité de l’eau traitée (virus, bactéries, micropolluants) et mettre en place des protocoles, l’eau continuera à être rejetée à la mer pendant encore un an et de nombreuses analyses seront réalisées. À noter que l’eau, une fois qu’elle est partie à la mer, est quasi « perdue » puisque cela coûte très cher de traiter de l’eau salée ».

Les décrets attendus avant la fin de l’année pourraient-ils faciliter l’émergence de projets ?

« De futurs décrets et arrêtés définiront les objectifs de qualité des eaux usées selon leur réutilisation, pour l’industrie agroalimentaire, l’arrosage des espaces verts et l’irrigation agricole par exemple, rappelle Philippe Carrio. Il faudra notamment être vigilant concernant le type d’analyses requis et leur fréquence, le coût pouvant être rédhibitoire pour les projets. »

« Pour traiter l’eau en sortie de station d’épuration afin de les réutiliser, il suffit de filtrer l’eau (par un filtre à sable ou des membranes en fonction des usages) et de la désinfecter (aux ultraviolets et/ou par du chlore). Aujourd’hui en France, il n’est pas encore obligatoire de traiter les micropolluants (résidus médicamenteux par exemple) contrairement à la Suisse, qui est une référence sur ce sujet. Dans ce pays, toutes les grosses stations (supérieures à 100 000 équivalents habitants) ainsi que celles qui rejettent leurs effluents dans un milieu sensible, sont en train d’être équipées. »

« La révision de la directive sur les eaux résiduaires urbaines en cours pourrait suivre cet exemple et imposer, en Europe, le traitement des micropolluants à la sortie des stations d’épuration par oxydation et/ou adsorption (charbon actif). Le but : abattre 80 % d’un large panel de molécules. Le coût de l’investissement et du fonctionnement d’un tel traitement est évalué autour de 15 € par habitant et par an, financé en majorité par les industries pharmaceutiques, puis par l’État. »