Pouvez-vous nous présenter le port de Chancay au Pérou ?

Ce port a été inauguré le 14 novembre 2024 après huit ans de travaux gigantesques. 3,6 milliards de dollars ont été investis à 60 % par le géant chinois Cosco Shipping Ports et à 40 % par Volcan Compania Minera, une entreprise péruvienne. Des fonds marins naturellement à pic et à 17 m de profondeur pour accueillir parmi les plus grands navires du monde, des berges solides, une localisation à seulement 60 km de la capitale Lima où le port pourrait arriver prochainement à saturation. Chancay a été choisi pour répondre aux ambitions chinoises en Amérique latine.

Après un an d’opération, le premier bilan montre que les échanges sont en deçà des objectifs annoncés. Alors que le but était d’atteindre 1 million d’EVP (1), il a été échangé entre 300 000 et 350 000 EVP, soit un tiers de l’objectif annoncé. Mais ce résultat n’est pas pour autant décevant car le port est encore en rodage. Par ailleurs, l’objectif affiché était peut-être volontairement ambitieux pour favoriser les externalités positives, telles que la hausse du prix de l’immobilier et les investissements étrangers qui, elles, ont bien lieu.

Quelles sont ces ambitions chinoises en Amérique latine ?

L’intérêt majeur de la Chine en Amérique latine, c’est le minerai, et notamment le lithium essentiel à la construction des voitures électriques, et le cuivre. Mais cette implantation vise aussi un enjeu vital : la Chine a un fort déficit alimentaire, elle n’est pas capable, avec ses ressources locales, d’alimenter sa population dont les besoins augmentent. C’est la seule connexion directe entre l’Asie et la façade pacifique de l’Amérique du Sud, ce qui permet à la Chine de sécuriser ses approvisionnements et de réduire ses dépendances. Jusque-là, les marchandises partaient d’Asie pour rejoindre les ports américains ou mexicains, avant d’aller en Amérique latine, soit 40 à 45 jours de bateau, ce qui ne permet pas d’exporter des produits périssables. Avec un accès direct entre Shanghai et Chancay, le délai est passé à 25-30 jours, ce qui permet d’alimenter la Chine avec les avocats, le quinoa, les asperges, les raisins… d’Amérique latine. Le Pérou est en train de voir s’ouvrir un marché gigantesque pour ses fruits et légumes, lui permettant de révéler son plein potentiel.

Ce port est donc une aubaine pour le Pérou mais aussi, à plus long terme, pour la Colombie, l’Équateur, le Chili et le Brésil qui pourraient bénéficier de routes en partie financées et construites par la Chine.

Pourquoi à plus long terme ?

En construisant ce port, la Chine a fait « le plus facile ». Il reste à le connecter aux territoires très accidentés et divers du Pérou et des pays limitrophes (cordillère des Andes, Amazonie…). Mais l’avantage de la Chine, c’est qu’elle peut financer durablement ses projets car elle voit sa rentabilité à long terme. Par ailleurs, ces travaux bénéficient aussi à l’Amérique latine qui a besoin d’infrastructures pour se développer : des routes et du rail notamment pour désengorger la route panaméricaine qui traverse le continent du nord au sud. En vingt ans, les investissements de la Chine en Amérique latine ont été multipliés par 22 pour compenser le désengagement progressif des États-Unis dans la région.

Ce port peut-il influer sur le transit de soja ou de maïs brésiliens ?

Pour le moment, les marchés agricoles brésilien et péruvien devraient rester distincts car le soja et le maïs produits par le Brésil ne sont pas des denrées périssables à court terme. Leur transport se fait donc toujours en passant par l’océan Atlantique, en 45 jours environ. Malgré l’idée redondante d’un train reliant São Paulo (Brésil) à Lima pour diminuer ces délais, il n’y a, pour le moment, pas de nécessité de réduire la durée de transport. De plus, construire un train entre le Brésil et le Pérou serait une prouesse technique majeure — nécessitant de traverser les Andes et l’Amazonie sur près de 3 500 km — et un investissement probablement démesuré comparé aux gains potentiels.

(1) Équivalent vingt pieds, soit l’unité de mesure approximative d’un conteneur.