Ils avaient annoncé un « tractorazo ». Samedi 23 avril, une caravane composée de centaines de tracteurs, de voitures et de motos a défilé au son des klaxons et des sonnailles dans les rues de Buenos Aires pour venir crier la colère du monde rural sous les fenêtres de la Casa Rosada, le siège du pouvoir exécutif argentin.

« Le gouvernement nous accable d’impôts et fait la sourde oreille à nos revendications, donc nous sommes venus nous faire entendre », explique Diego Loustalot, éleveur de bovins dans la province de Córdoba, à 700 kilomètres au nord-ouest de la capitale argentine. « J’ai presque 40 ans, et c’est la première fois de ma vie que je viens à Buenos Aires. Normalement, je travaille sept jours sur sept, mais je me suis organisé pour venir, car nous sommes au bout du rouleau. »

Un sentiment d’exaspération partagé par les milliers de personnes réunies sur la place de Mai, traditionnel théâtre des joies et des colères populaires en Argentine. « On ne nous laisse pas travailler, on ne nous laisse pas produire », peste Santiago Marzorati en réajustant sa « boina », le traditionnel béret d’origine basque des « gauchos » argentins. Cet agriculteur en veut pour preuve un récent rapport de la Fondation agricole pour le développement de l’Argentine (Fada), qui affirme que la rente agricole sur les cultures de blé, de maïs et de tournesol est taxée à 64,9 % par l’État.

Sentiment d’ingratitude

« Nous sommes la vache à lait de l’Argentine », s’énerve Fernando García, agriculteur dans la localité de San Antonio de Areco. Enveloppé dans un drapeau ciel et blanc, il souligne que le secteur agricole est le principal pourvoyeur de devises étrangères, dont le pays manque cruellement. Au premier trimestre 2022, la vente à l’étranger de céréales et de soja, qui représentent 47 % des exportations argentines, a fait entrer 7,9 milliards de dollars dans le pays, soit 80 % de plus que la moyenne de ces dix dernières années.

Des bénéfices records liés à la hausse du cours des matières premières provoquée par la guerre en Ukraine, que le gouvernement péroniste (centre gauche) a décidé de mettre à contribution. Mi-mars, les taxes sur les exportations d’huile et de farine de soja ont été augmentées de 31 à 33 % afin d’alimenter le « Fonds de stabilisation du blé argentin », créé pour contenir la hausse du prix du pain et amortir le choc inflationniste pour les plus vulnérables (le coût de la vie a augmenté de 16,1 % au 1er trimestre en Argentine).

« Le gouvernement dit que ce ne sont pas les producteurs qui payent les taxes à l’exportation, mais ceux qui exportent répercutent leurs coûts sur nous, poursuit Fernando García. Et nous aussi nous avons pâti de l’augmentation du prix des matières premières et du manque de gasoil ! Tout ce que nous demandons, c’est de la considération. »

Théo Conscience