S’il a été difficile de lui trouver une place dans l’agenda politique du gouvernement, le pacte d’orientation et d’avenir agricoles a enfin été dévoilé ce 15 décembre 2023. Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, l’a présenté lors d’une visite du lycée agricole d’Yvetot, dans la Seine-Maritime. « Le pacte donne une direction vers la souveraineté alimentaire par l’installation », résume Marc Fesneau.
Fruit d’une concertation nationale et régionale lancée en décembre 2022 deux mois après des annonces d’Emmanuel Macron, le pacte contient un ensemble de mesures pour former et installer de nouveaux agriculteurs tout en accompagnant les exploitations dans leurs transitions agroécologiques.
« Le pacte, c’est parfois la loi, du réglementaire, du budgétaire, ou de la politique publique », souligne le ministre. Le projet de loi d’orientation agricole, qui viendra en complément du pacte, sera examiné le 17 janvier 2024 en conseil des ministres pour un début d’examen par l’Assemblée nationale ou le Sénat durant le premier trimestre de 2024, précise le cabinet de Marc Fesneau. Le ministre espère une issue favorable au Parlement avant l’été.
Le pacte s’articule autour de quatre axes que le ministre a pu détailler devant des représentants du secteur agricole et de l’enseignement, ainsi que des élèves.
1. Provoquer « un choc d’attractivité »
Premier axe, réconcilier l’agriculture et la société. Le gouvernement veut en la matière provoquer un « choc d’attractivité vers les métiers du vivant ». Une campagne de communication nationale auprès du grand public sera lancée en 2024 pour promouvoir les formations de l’enseignement agricole. À compter de la rentrée scolaire de 2024, chaque enfant scolarisé dans une école élémentaire devra bénéficier d’au moins une action de découverte de l’agriculture. Pour les collégiens et les lycéens en seconde, un stage immersif individuel ou collectif pour découvrir les métiers du vivant sera facultatif. Ce sera aux chambres d’agriculture de recenser les exploitations qui seront prêtes à accueillir ces publics, précise le cabinet de Marc Fesneau.
L’année suivante, en 2025, un évènement annuel type « semaine sur l’alimentation durable favorable à la santé » se manifestera notamment par des actions dans les écoles autour de l’alimentation durable et de la nutrition et par des portes ouvertes dans des exploitations agricoles et des entreprises agroalimentaires.
Le gouvernement veut aussi augmenter de 80 % le nombre d’inspections de la police de sécurité sanitaire des aliments pour « améliorer la confiance avec le consommateur ». Le ministère de l’Agriculture prévoit un renfort de 190 effectifs supplémentaires et d’un budget de 38 millions d’euros.
2. Un virage de l’enseignement agricole vers la transition agroécologique
Pour installer une nouvelle génération d’agriculteurs, alors que la moitié des chefs d’exploitation vont partir à la retraite d’ici à 10 ans, le pacte comprend dans son deuxième axe plusieurs mesures liées à l’enseignement agricole et à la formation. Le ministre s’est de nouveau félicité de l’augmentation de près de 10 % du budget de l’enseignement agricole dans la loi de finances pour 2024.
Une enveloppe supplémentaire qui se traduira notamment par des nouveaux moyens humains pour rénover d’ici à la fin de l’année 2024 la totalité des référentiels de formation initiale afin d’y intégrer les compétences liées à la transition agroécologique.
Le gouvernement souhaite que des « experts associés » interviennent en soutien des enseignants et formations de l’enseignement agricole pour accélérer la diffusion des connaissances en matière de transition agroécologique. L’objectif de 1 000 experts est visé dans des domaines tels que l’hydraulique, la robotique ou les agroéquipements. « Pour parler de transitions en agriculture, on mobilisera bien sûr tous les experts du sujet, et donc les premiers d’entre eux, que sont les agriculteurs », assure Marc Fesneau.
L’année 2025 verra la création d’un « Bachelor agro » de niveau bac + 3 pour « répondre à un besoin de montée en compétences des actifs agricoles », précise le ministre. C’est également en 2025 que débutera un programme national de trois ans de formation accélérée aux transitions agroécologique et climatique des conseillers qui accompagnent les agriculteurs.
En plus du « choc d’attractivité » des métiers agricoles, le ministre veut également un « choc de compétences » pour les enseignants et les professionnels qui conseillent au quotidien les agriculteurs. Un plan de formation sur trois ans sera mis en place à compter de septembre 2025. Il concernera 20 000 enseignants et formateurs, 20 000 conseillers de structures comme les chambres d’agriculteurs ou encore les coopératives et 10 000 fonctionnaires. Les formations porteront sur les transitions agroécologiques et climatiques.
Le gouvernement souhaite que les métiers agricoles soient intégrés dans la liste des métiers en tension que réclamait notamment la FNSEA. Un sujet qui devrait faire l’objet de prochaines discussions avec les partenaires sociaux.
3. Un accompagnement renforcé des porteurs de projet
Pour faciliter l’installation et mieux accompagner les porteurs de projet, le troisième axe du pacte contient la création du réseau France Services Agriculture pour 2025. Ce guichet unique sera le passage obligatoire pour toute personne désirant s’installer en agriculture. Il doit permettre de garantir la diversité des modèles d’agriculture et de mieux lier transmission et installation.
« France Services Agriculture offrira un accompagnement personnalisé des projets avec un premier temps d’information et d’orientation grâce à un “guichet unique”, tenu par la chambre départementale d’agriculture et un deuxième temps de conseil, d’accompagnement à la construction du projet et, le cas échéant, l’élaboration d’un parcours de formation adapté grâce à un réseau de structures agréées plurielles », détaille Marc Fesneau.
Ce guichet doit aussi intégrer « un parcours spécifique de conseil et d’accompagnement à la transmission ». « L’obligation pour les cédants de se faire connaître sera renforcée et ils seront accompagnés le plus tôt possible par un mécanisme incitatif d’aide directe dans la démarche de transmission de leur exploitation, afin de favoriser les reprises et installations plutôt que les agrandissements », annonce le ministre. Dans le même esprit, un coup de pouce fiscal est prévu pour les cédants lorsqu’ils transmettent leur exploitation à une jeune agriculture. Ce geste se traduira par une exonération fiscale supplémentaire des plus-values.
Il est également prévu la création d’un diagnostic de l’exploitation à l’installation et à la transmission qui doit permettre de vérifier la viabilité économique, sociale, humaine et écologique des projets. Sa mise en œuvre progressive doit intervenir au plus tard en 2026. Ce diagnostic comportera un « stress-test climatique » pour évaluer la viabilité des projets au regard de l’évolution des conditions pédoclimatiques du territoire où l’exploitation est située.
Le gouvernement met aussi sur la table des soutiens financiers. Dès 2024, 2 milliards d’euros de prêts seront garantis par l’État dont 400 millions d’euros fléchés spécifiquement vers l’élevage. Ce dispositif vise à « soutenir les nouvelles installations, mais aussi les investissements à risque portés par ceux qui sont déjà installés et qui ont besoin de transformer leurs exploitations », ajoute Marc Fesneau.
S’il n’y aura pas un grand volet foncier dans la loi, certaines mesures seront tout de même prises dans le pacte. « Nous n’avons pas besoin d’un grand soir foncier comme certains l’espéraient mais de petits matins avec des outils structurants », explique le ministre. Il a rappelé la création du fonds « Entrepreneurs du vivant » doté de 400 millions d’euros. Ces fonds permettront à l’État de « prendre des participations dans des fonds de portage nationaux ou régionaux qui, eux, achètent du foncier pour le mettre à disposition auprès des agriculteurs progressivement, et leur permettre de l’acquérir au moment de leur choix », précise le ministre.

Dans la quête de nouveaux capitaux pour l’agriculture, le projet de loi devrait intégrer la création du groupement foncier agricole d’investissements. Une mesure déjà proposée par le Sénat pour attirer les épargnants vers le foncier agricole.
Parmi ces « petits matins » voulus par le ministre, figure aussi la modification des règles de priorité du contrôle des structures pour favoriser les pratiques agroécologiques dans les zones humides et dans les aires d’alimentation prioritaires de captage et le maintien en agriculture biologique. Une révision qui ne doit pas nuire à l’installation de nouveaux exploitants qui reste prioritaire, précise le cabinet du ministre.
Alors que la production d’énergie renouvelable connaît un fort engouement, le ministre annonce la mise en place d’une clause contractuelle type pour favoriser le partage de la valeur, entre le bailleur, le preneur et le porteur de projet (l’énergéticien). « Le partage des bénéfices de l’installation électrique, notamment pour l’agrivoltaïsme, entre le propriétaire du foncier et l’exploitant, qui pourrait être par exemple une rémunération de ce dernier indexée sur le prix de l’électricité », ajoute Marc Fesneau.
S’il n’y aura pas de réforme du bail rural dans la loi présentée en janvier, le ministre veut engager une réflexion pour faire évoluer les baux ruraux au regard des transitions écologiques et du renouvellement des générations. Un sujet sur lequel un groupe de travail interministériel doit se pencher. Il devra rendre ses conclusions à la fin du premier semestre de 2024. Le passage du bail rural au bail écrit pour les nouveaux preneurs, la promotion des baux à long terme de 18 ans et des incitations en faveur des baux ruraux à clauses environnementales sont évoqués.
Le troisième axe du pacte comprend aussi la revalorisation du crédit d’impôt pour les dépenses de remplacement et l’affiliation à la MSA de l’agriculture urbaine et de « nouvelles formes d’agriculture » comme l’hydroponie.
4. Sécuriser les projets d’élevage et de stockage de l’eau
Le quatrième et dernier axe du pacte entend « revoir l’échelle des systèmes de production à l’échelle des filières et des territoires ». Il vise notamment à sécuriser juridiquement et accélérer les projets de stockage de l’eau ainsi que les projets de modernisation de bâtiments d’élevage mais aussi les projets d’unités de méthanisation. Des projets qui peuvent se trouver bloqués par des durées de contentieux jugées trop longue. Un groupe de travail doit être créé pour modifier la réglementation et supprimer un degré de juridiction pour accélérer les procédures.
Marc Fesneau annonce aussi le lancement en 2024 de deux nouveaux plans de souveraineté sur les engrais et l’élevage et la mise en place d’un fonds pour soutenir les filières dans l’adaptation au changement climatique. Ce fonds trouve sa place dans la planification écologique promue par le gouvernement et la loi de finances pour 2024. Doté de 180 millions d’euros en 2024, il sera renouvelé en 2025 et en 2026 avec 200 millions d’euros par an.
« Il permettra de soutenir, à l’échelle d’un territoire, les démarches de structuration des exploitations et des filières, afin de leur permettre d’adapter leur modèle économique aux exigences de décarbonation des activités, de développement de la production d’énergie renouvelable, de sobriété d’utilisation des ressources, de préservation des écosystèmes, ou d’adaptation au changement climatique », précise le ministre de l’Agriculture avant de clôturer son discours et de quitter le lycée agricole d’Yvetot.
L’année 2024 s’annonce studieuse.