Le 7 novembre 1828, maître Foucher, notaire à Paris, se rend au 23 rue Richer dans le IXe arrondissement, pour rédiger le contrat de mariage de la fille d’un riche exploitant avec un manufacturier. Le futur époux, Edmond Béjot, est cousin au quatrième degré de sa future épouse, Amélie Béjot, qui n’a pas encore 18 ans. Chapeaux à plumes et hauts-de-forme se bousculent dans le salon de Charlemagne, le père d’Amélie, entre le piano d’acajou de chez Roller et « deux grands tableaux de famille, peints sur toile ». Une quarantaine de témoins sont venus : ils accompagneront les jeunes mariés jusqu’à la mairie le jour même.
Le grand monde est au rendez-vous : l’aïeul de la future mariée, Charlemagne Béjot, précédemment laboureur à Messy-en-France (Seine-et-Marne), est alors propriétaire et par ailleurs membre de la chambre des députés. Parmi les cousins et cousines présents, Adèle Collart-Dutilleul, l’épouse du comte Mollien, pair de France et ancien ministre de Napoléon, est venue du quai d’Orsay ; Rose Béjot, veuve du baron Dufresne, et son gendre Gauthier d’Hauteserve, conseiller à la Cour des comptes, arrivent de la rue de Vendôme. Du côté des invités se trouvent Charles Geoffroy, demi-frère du marié, neveu d’un régent de la Banque de France, désormais agent de change, Félix Blangini, musicien, et encore Étienne Serres, médecin anatomiste déjà célèbre.
La plupart des membres de la famille présents au contrat sont domiciliés dans leurs appartements parisiens du faubourg Montmartre, centrés sur deux adresses : la rue Richer et le boulevard Poissonnière. Au 23 de la rue Richer, d’où l’on sort en calèches ou en landaus peints en jaune, les Béjot ont élu domicile. C’est là que réside Ambroise Béjot, le père du marié, ancien agent de change et propriétaire du château de Nointel dans l’Oise, où il accueille le banquier Récamier et Honoré de Balzac : il est l’un des deux cents plus forts actionnaires de la Banque de France.
Au deuxième étage vit donc le père de la mariée, Charlemagne Béjot, propriétaire et rentier tout en restant exploitant agricole des 240 hectares de sa ferme de Messy. La réussite éclate de partout, rassemblant finance, manufacture, notariat, change, talents et grande culture. Discrets, les « simples » fermiers sont bien présents. Voici l’oncle Clément Petit, maître de la poste de Meaux, qui exploite trois fermes tout à côté ; l’oncle Achille Lucy, encore fermier à Ognes (Oise) ; la tante Pauline Lucy, femme de Victor Harrouard-Richemond, cultivateur et fabricant de sucre en Seine-et-Marne. Pour couronner le tout, l’aïeul maternel d’Amélie, Jean-François Lucy, ancien cultivateur à Ognes, est alors propriétaire de Poncelet à Chauconin (Seine-et-Marne), véritable maison de campagne avec parc et jardin à l’anglaise. À ce niveau, la capillarité entre les différentes composantes des grands notables est intense.
Un détail reste à préciser : l’époux apporte en dot 180 000 francs et l’épouse 150 000 francs, dont une bonne part est investie dans une manufacture d’impression sur toiles à Chantilly. Nous sommes bien au sommet des élites agricoles.
(1) Voiture à cheval, cabriolet léger à deux places.