Alors que l’invasion de l’armée russe dévaste les campagnes ukrainiennes, on ne saurait oublier que les paysans français ont subi une situation comparable en 1814. Cette année-là, les troupes étrangères – Russes, mais aussi Prussiens, Autrichiens et Anglais – ont pénétré en France depuis quelques mois. Au printemps 1814, elles occupent le Nord, l’Est, le Bassin parisien et le Sud-Ouest. Elles stationnent sur le territoire jusqu’au début de juin. Tout près de Paris, deux paysans en témoignent.
« Dans le courant de février, mars et avril, écrit Pierre Denis, vigneron à Varreddes, près de Meaux, nous avons été obligés de nous cacher dans les carrières. » Les étrangers « nous ont pris tout le linge, habit, pain, vin, chevaux, vache, les ânes, l’avoine, foins », tout ce qu’ils trouvaient. Ils violaient les femmes, frappaient les hommes et « je ne peux pas marquer tout qu’ils ont fait, toutes les indignités possible ».
L’ennemi entré dans Paris le 31 mars 1814, l’empereur Napoléon Ier est parti pour l’île d’Elbe. Les éclaireurs russes, rapporte Gilbert Clain, cultivateur à Juilly (Seine-et-Marne), pénètrent, quant à eux, dans la ferme de son beau-père où il se trouve. Ils font fermer les portes derrière eux, se mettant à table et mangeant de bon appétit.
« Quand ils ont eu fini, ils ont fouillé papa Allais [le beau-père de Gilbert Clain] et les deux bergers. Voyant mon tour arrivé, j’ai pris une bouteille sur la table comme pour aller chercher à boire à la cave afin de cacher ce que j’avais dans mes poches. Mais ils ont bien compris mon stratagème et m’ont aussi fouillé et pris ma montre et douze francs. J’avais eu la précaution de faire cacher les deux montres des bergers, et je n’avais pas pensé à la mienne. »
Le pillage s’ensuit : « Ils ont fait prendre une lanterne à papa Allais et se sont fait conduire au poulailler, ont attrapé les poules, leur coupant le cou, jetant la tête et mettant les corps dans un sac ; une des dernières en se débattant a éteint la chandelle. Ensuite, ils ont pillé la maison, sont montés au grenier, ont mis de l’avoine dans des sacs, ont pris de la luzerne, fait des trousses et les ont chargés sur leurs chevaux et y sont montés.
« Les Russes voulant maltraiter les bergers, ils ont pris le parti de se sauver »
Dans le village, c’est le sauve qui peut. « Mon père et mon frère de Pringy (hameau de Barcy, Seine-et-Marne) avaient envoyé leurs troupeaux par leurs bergers à Juilly. Ils les avaient logés dans la ferme de M. Oudot, où lui-même avait envoyé le sien plus loin. Les Russes voulant maltraiter les bergers, ils ont pris le parti de se sauver. Jugez mon embarras avec deux troupeaux à ma garde dans un pareil moment !
J’ai donc pris le parti de suivre les bergers pour les ramener auprès de leurs troupeaux le lendemain s’il était possible. À force de prières, j’y suis parvenu, ayant passé la nuit dans les bois de Cuisy ». Alors, depuis les buttes de la Goële, s’offre à notre chroniqueur un spectacle qui se grave dans sa mémoire : « Là, nous avons vu du soleil levant au couchant, depuis Lizy, Montceau, Quincy, Chalifer, Carnetin, jusqu’à Mitry et toutes les belles plaines renfermées dans ce cercle, garnies de feux de bivouac, qui représentaient le ciel orné de ses innombrables étoiles. »