Plus que Noël, la Saint-Nicolas – le 6 décembre – a longtemps marqué la fête des enfants. Elle le reste aujourd’hui dans le Nord et l’Est de la France, comme au-delà des frontières. Saint patron de la Lorraine depuis 1477, il suscite à Nancy, à Metz et à la basilique Saint-Nicolas-de-Port – où serait conservé son doigt – des défilés de chars très populaires.
Depuis 2018, celui de Nancy, qui attire des dizaines de milliers de personnes sur la place Stanislas, est inscrit à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France. Or la Saint-Nicolas a été jadis une célébration plus largement répandue, y compris dans les campagnes.
Aux portes de Paris, dans le petit village de Silly-en-Multien (Oise), un maître d’école – Pierre Delahaye –, qui était en même temps bedeau, chantre et carillonneur de la paroisse, en fait le récit dans son journal de 1772 à la Révolution. Avec lui on saisit toute l’intensité de la Saint-Nicolas au village.
Dès la veille à midi, le maître d’école sonne deux volées à trois cloches avec les enfants et carillonne le soir et le 5 décembre à 6 heures pour l’angélus, quand ce n’est pas le cabaretier qui fit cet office. A huit ou neuf heures sonne la grand-messe. Les écoliers arrivent en aube, chacun avec un cierge à la main : dans une civière, confectionné par le menuisier du cru, ils portent le gâteau de la Saint-Nicolas, préparé avec les brioches par une bonne cuisinière du village. Les jeunes garcons entrent dans l’église, suivis de celui qui est chargé de présenter l’offrande le jour, et précédés de celui qui devra « rendre » de gâteau l’année suivante.
A l’issue de l’office, les plus grands accompagnent leur maître pour offrir une « belle brioche » au curé et au vicaire. Par ailleurs, le présentateur part ensuite avec quelques-uns de ses camarades donner une part du gâteau, le « chanteau », dans la maison de celui qui viendra ainsi le remplacer, comme on le fait pour le pain bénit. Chaque année, Delahaye écrit soigneusement le nom de tous les récipiendaires. Comme toujours sous l’Ancien Régime la religion vient marquer les rangs dans les campagnes comme dans les villes.
« Sous l'Ancien Régime, la religion vient marquer le rang social, dans les campagnes comme dans les villes »
Place ensuite aux ripailles assurées par une cotisation de tous les enfants, selon les moyens de chaque famille. La collecte permet au maître d’école de faire face à tous les frais que suscite la plus belle journée de l’année. Alors au dîner, à la tête de ses écoliers, Delahaye préside aux agapes où l’on fait véritablement bombance : deux plats de soupe grasse, gigot et haricots, omelette et salade, gâteau, noix et pommes cuites au chaudron, le tout arrosé de vin de Brie rouge et, de plus en plus, de vin blanc de Champagne ! La qualité va avec la quantité et les enfants peuvent se divertir à l’école jusqu’au souper. Qu’on en juge avec ce qui a été servi à la Saint-Nicolas 1786, pour une soixantaine de personnes (dont 56 enfants) :
« J’ai acheté pour le dîner 54 livres de pain, 18 livres de viande et 8 pintes de vin, outre la viande et le vin que j’avais reçu, ce qui faisait 22 livres de viande et 17 à 18 pintes de vin. Outre cela, Mauberquier a apporté un gigot de mouton pour faire la fête avec nous. Louis Beuve (le cabaretier également chantre) nous a aidé à servir les enfants au dîner et a fait la fête avec nous jusqu’à minuit ».