En France, « rats des villes » et « rats des champs » ont longtemps entretenu une vie commune. Sans même évoquer le cas particulier des gros villages urbanisés comme les « agrovilles » du Midi méditerranéen, les finages de la plupart des villes, soit leurs terres alentour, abritaient, du Moyen Âge au XIXe siècle, une population paysanne, à commencer par les vignerons et les maraîchers. À Besançon comme à Briançon ou Auxerre, les portes s’ouvraient le matin et se refermaient le soir pour laisser passer des cohortes de paysans. À Montpellier, au XVIIIe siècle, s’activait une « paysannerie citadine » de brassiers, ménagers et jardiniers.
Les cités accordaient une place aux agriculteurs dans leur classification socioprofessionnelle. En Bourgogne, chaque petite ville comptait ainsi un quart à un tiers de ses effectifs composés de vignerons, de laboureurs et de journaliers au XVIIIe siècle. De fait, la vigne est beaucoup plus exigeante en main-d’œuvre que la céréaliculture, faisant des vignerons le groupe le plus représenté dans le secteur primaire des villes d’Ancien Régime, là où ils existent. Certaines petites villes bourguignonnes, comme Semur-en-Auxois ou Nuits-Saint-Georges, étaient même à majorité paysanne !
La situation extrême était celle de la capitale. Vignerons, maraîchers et jardiniers se comptent par milliers dans le Paris du XVIe siècle. Le quartier du Marais et le vignoble de Montmartre en sont les héritiers. Mais il y avait aussi des laboureurs à charrue. À̀ Paris, l’été 1554, 165 moutons pâturent dans les 60 hectares de l’exploitation de l’abbaye Saint-Antoine-des-Champs. Quant à notre jardin du Luxembourg, il doit son emplacement et une partie de sa configuration à la ferme de deux charrues que les Chartreux y exploitaient jusque dans les années 1600.
Dans les cités anciennes, la population agricole, domiciliée intra-muros dans les faubourgs, ou dans des villages ou hameaux rattachés à la communauté urbaine, atteignait des proportions importantes : 35 % à Rennes. Dans le Midi, les villes conservaient une importante activité agricole sur des étendues parfois considérables : celle de Montélimar dépassait 4 500 ha, celles de Die et Valence atteignaient près de 6 000 ha. Celle de Gap, avec plus de 11 000 ha, était l’une des plus étendues de toute la province. En Languedoc, Montauban était le chef-lieu d’une très vaste commune, puisque sa surface agricole s’étalait sur 13 330 ha. En Arles, on atteignait le maximum avec presque 76 000 ha : 1 417 familles de paysans et 179 de bergers, soit 47 % des 3 364 propriétaires en 1687 !
Les terroirs urbains étaient consacrés à la culture des blés (davantage de froment que de seigle), de la vigne et du chanvre. Des murailles de la cité, les bourgeois surveillaient le travail des champs et s’inquiétaient du sort des vignobles en temps de guerre ou d’intempérie.
Jean-Marc Moriceau, Pôle rural, MRSH-Caen