Si le réchauffement climatique multiplie aujourd’hui des « dérèglements » du temps, ils étaient loin d’être inconnus dans le passé. Ils y prenaient même une gravité plus grande, en raison de l’état des techniques, tout se faisant à la main.
En 1725, les Français – et plus largement les Européens – ont connu sept mois de pluie consécutifs. Comme le signale un paysan de Varreddes, en Seine-et-Marne : « On ne pouvait faire le pain. Il fallait mettre le grain dans le four pour le sécher. » Dans les mémoires, 1725 est restée comme l’année la plus fraîche du siècle.
De fait, les laboureurs se désespèrent. De mars jusqu’en octobre, constate le curé de Sorel-Moussel, en Eure-et-Loir, « il a toujours fait un temps de pluie et de vents, en sorte que les grains gâtés par les herbes ont pourri dans les champs ». En Poitou, l’année est certes abondante en blés, mais si humide qu’il s’en est perdu beaucoup dans les champs. En Bresse, le temps est si pluvieux qu’on ne peut trouver un moment favorable pour faucher, moissonner et vendanger. En Anjou, dans certains fonds de vallée, bien des métayers renoncent à faucher.
Les moissons sont tardives, malaisées et elles s’éternisent. En Champagne, elles ne commencent qu’autour du 20 juillet et se poursuivent jusqu’au 7 septembre, mais le vent et la pluie interrompent les travaux. On a beau retourner les gerbes coupées plusieurs fois, les grains récoltés pourrissent sur pied. Dans les champs en pente, l’excès des précipitations et les orages estivaux entraînent les blés coupés et enterrent ceux qui sont encore sur pied. En Île-de-France, l’août a bien duré six semaines : les moissonneurs ont dû revenir huit jours. Dans le Midi, les blés ne sont pas ramassés à la mi-septembre.
Quant aux vignes, elles promettaient beaucoup, mais les grappes en formation coulent et s’étiolent, de telle sorte que le vin manque dans le Val de Loire. Autour de Paris, « les vignes ont tellement coulé, qu’il n’y a presque rien resté ». En Bourgogne, les vendanges doivent être reculées d’une quinzaine de jours. Les vins sont très mauvais. Ils sont si aigres qu’on leur donne le nom de « citronnelle » en Touraine. Partout, on fait des prières pour demander à Dieu du beau temps et on descend même, dans la capitale, la châsse de Sainte-Geneviève.
En Languedoc, la persistance des précipitations pendant l’automne 1725 compromet les semis. Les habitants de Saint-Victor-la-Coste, dans le Gard, signent une « plainte générale » indiquant que « les grandes pluies qui sont survenues ont empêché de semer, ou ont gâté les semis qui n’ont pu sortir ». Le dommage est évalué au début de l’année suivante à plus d’un tiers de la récolte.
Cas extrême sans doute, l’année 1725 révèle la fragilité de l’ancienne agriculture, victime chronique des excès de précipitations, au temps du « petit âge glaciaire ».
Jean-Marc Moriceau, Pole rural-MRSH Caen