En 1709, après dix-neuf jours consécutifs de gel, redoux et regel alternent. Le 25 janvier, un redoux s’installe, accompagné de pluies neigeuses, surtout dans les plaines et sur les littoraux. Le 4 février, alors que la terre reste gorgée d’eau et de neige fondue, le gel revient pour une semaine. Autour du 10 février, le dégel reprend lentement, sans pluie cette fois, laissant renaître l’espoir. Malheureusement, une nouvelle vague de froid s’étend du 22 février au 2 mars.

Dans les plaines découvertes, le froid se situe entre - 15 et - 20 °C, prenant au piège racines et plantes. Atterrés, les paysans regardent la catastrophe et scrutent le ciel. Tout semble cesser le 3 mars, lorsque le vent du sud-ouest ramène la pluie. Mais la douceur ne tient pas : le 10 mars, le gel recommence et la pluie se transforme en neige. Comme les sept plaies d’Égypte, une septième vague de froid s’abat sur la France.

Il faut attendre le 16 mars pour que le « Grand hiver » cesse après cinq mois de rigueur. Jamais les températures constatées en ville n’ont été aussi fortement négatives : à Paris, on a enregistré onze jours inférieurs à - 15 °C du 10 au 21 janvier. Au cours de cet hiver inédit, les laboureurs et les vignerons, les curés et les pasteurs, les propriétaires et les fermiers prennent la plume et témoignent.

« Les glaçons pendaient à la barbe des hommes et des chevaux » (Serville, Eure-et-Loir). « La salive se gelait en l’air avant qu’elle ne fût à terre » (Saint-Géraud, Lot-et-Garonne). À Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), « le pain et le vin gelaient. Il fallait des réchauds pour mettre le vin et dire la messe ». Chose inouïe, les rivières portaient des charrettes pleines ! « La Garonne était si ferme qu’on y passa quinze jours à pied et à cheval, avec des chevaux chargés et même des charrettes (Fals, Lot-et-Garonne) ».

Les animaux meurent de froid. « Les étables ne se trouvaient pas assez chaudes pour empêcher le bétail de souffrir extraordinairement ; le poil tomba à la plus grande partie des bœufs, des vaches, des chevaux et des ânes » (Vougy, Loire). Aux Esseintes (Gironde), « presque toutes les perdrix, lièvres, lapins, poules, chapons jusques aux coqs et presque tous les oiseaux, brebis, agneaux, moutons, chèvres, boucs, pourceaux périrent ». Même le poisson et les huîtres gèlent.

Et que dire des hommes ! Le 20 janvier, « le monde mourait sur les chemins » (Chanteloup-les-Vignes). À Vougy encore, passé le 20 janvier, « beaucoup de pauvres, qui s’étant couchés se portant assez bien, furent retrouvés le lendemain matin morts par la rigueur du froid ».

Pour les arbres, c’est un désastre écologique. Aux frontières du Nord, « les plus gros chênes des bois et la plupart des autres arbres se fendaient de part en part (Rumégies) ». L’hiver terminé, comment survivre ? La perte des récoltes en terre, notamment les grains semés à l’automne, est sans précédent. Jean-Marc Moriceau, Pole rural-MRSH Caen