La nuit du 6 janvier 1709 ouvre une saison des plus terribles qu’on ait connues et dont le souvenir ne s’est pas estompé jusqu’à aujourd’hui : le « grand hiver ». Après trois épisodes survenus depuis le 19 octobre 1708, une quatrième vague de froid plonge la France dans la glace. Soixante ans après celle du 6 janvier 1649, dont le froid avait marqué le jeune Louis XIV quand il fuyait Paris, cette nuit des Rois 1709 frappe à nouveau le vieux souverain, et bien davantage ses vingt millions de sujets. L’anticyclone de Sibérie se rue à l’assaut de la France. Venue du nord-est, une bise glaciale abaisse les températures de plus de 20 °C au cours de la nuit du 6 janvier 1709 : une chute spectaculaire, comparable à celle observée dans la nuit du 1er janvier 1979.

La carte de la progression de l’isotherme 0 °C est éloquente. Le gel survient à Lille et Metz vers 21 h. À Versailles et autour de Paris, il arrive vers minuit, tout comme en Haute-Normandie, en Champagne, et au nord de l’Alsace. À 3 h, la gelée saisit Chartres, Auxerre et Vesoul. À 6 h, elle gagne la Basse-Normandie, le Berry, et la Saône. Puis, à 9 h, le Cotentin, la Touraine et le Bourbonnais. Le nord du Massif central, le sud du Jura et la région lyonnaise se font surprendre. Le 6 janvier à midi, la moitié nord du royaume, sauf la Bretagne et le Poitou, se retrouve sous la neige et le froid. La vague progresse toujours. S’engouffrant dans la vallée du Rhône, la voici en Avignon vers 16 h, puis à Montpellier avant 21 h. Le dimanche soir, elle s’installe sur la pointe bretonne, la Garonne et le Languedoc. Dans les premières heures du lundi, tout l’Hexagone grelotte. Les températures ne restent pas bloquées à 0 °C. D’après les relevés effectués sur les premiers thermomètres à esprit-de-vin, et en tenant compte de légères corrections d’environ 3° C pour bien saisir le minimum réel en ville, les chutes sont spectaculaires : - 11 °C le 7 janvier dans la capitale, - 19 °C le 10, - 21 °C les 13, 14 et 21 janvier. Bordeaux serait à - 15 °C le 9 janvier et à - 21 °C du 13 au 21 janvier ; Montpellier à - 20 °C, le 11 janvier et encore à - 17 °C le 19.

Pour les campagnes, on peut descendre ces observations de quelques degrés. Le froid ressenti est vif dans les maisons mal isolées. Dans certains secteurs, comme le plateau de Langres, on aurait atteint - 35 °C ! Et, surtout, c’est la durée de la phase sibérienne qui a marqué les corps et les esprits en 1709 : le dégel ne s’amorce que le 24 janvier sur les côtes méditerranéenne et atlantique, et le 25 près de Paris. La vague de grand froid a donc duré dix-huit à dix-neuf journées de suite. Jamais pareille situation ne s’est reproduite depuis lors. Toute l’Europe, de la Baltique à l’Adriatique, frissonne. Incontestablement, la nuit des Rois 1709 est l’un des grands événements de l’histoire, dont on ne saisit l’impact qu’en écoutant les témoins qui, par centaines, nous ont livré leurs poignantes descriptions.

Jean-Marc Moriceau, Pôle rural-MRSH Caen