La gestion des mauvaises herbes, en particulier les graminées, devient problématique dans les céréales à paille. Les systèmes de culture en place, l’absence de nouveaux modes d’action herbicides et la progression des populations résistantes expliquent, en partie, cette situation. C’est aussi le fait du contexte réglementaire, en constante évolution. Cette année sera la dernière pour l’utilisation de spécialités à base d’isoproturon (16 produits de référence sont concernés). Le règlement d’exécution paru le 1er juin 2016 dans le Journal officiel de l’Union européenne évoque un risque élevé d’exposition des eaux souterraines à des métabolites de l’isoproturon, ainsi qu’un risque élevé à long terme pour les oiseaux et les mammifères sauvages, et pour les organismes aquatiques.

Retrait d’AMM

L’AMM (autorisation de mise sur le marché) de la molécule serait retirée le 30 septembre prochain, avec un délai pour l’élimination, le stockage et l’utilisation des stocks existants de produits par les agriculteurs fixé au 30 septembre 2017, selon les dernières informations de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Exit donc, dès la campagne 2017-2018, les produits d’automne contenant de l’isoproturon en solo ou en association, tels Quartz GT (isoproturon + diflufénicanil) et Herbaflex (isoproturon + béflubutamide). Ce dernier montrait de bons résultats, par exemple, en mélange avec Roxy 800 EC/Défi (prosulfocarbe). La béflubutamide en solo est en projet.

Alors une fois le blé implanté, comment se passer d’isoproturon ? « La molécule fait partie des solutions très efficaces contre les graminées, notamment le vulpin, en association avec le produit Fosburi (diflufénicanil + flufénacet) », rappelle Edouard Baranger, ingénieur Arvalis dans le Centre. L’isoproturon solo pourra être remplacé dans cette association par du chlortoluron. Ce dernier a été historiquement positionné sur ray-grass de par sa meilleure efficacité mais il donne aussi de bons résultats sur le vulpin. « Toutefois, l’utilisation du chlortoluron est réglementée dans les sols artificiellement drainés et certaines variétés sont sensibles à la molécule, commente le spécialiste. Avec ces restrictions d’usage, la substitution de l’isoproturon n’est pas complète. »

Autre solution de substitution possible à l’automne, le prosulfocarbe avec Daiko associé à Fosburi. « Mais Daiko contient aussi du clodinafop-propargyl, la matière active de Célio (produit fortement utilisé au printemps), pour laquelle il y a des risques de résistance », alerte Edouard Baranger. Donc même si l’association Daiko + Fosburi fonctionne bien, il y a un risque que ça ne marche pas dans certaines situations de résistances. Et l’alternative est plus chère : 80 €/ha contre 67 €/ha le mélange « isoproturon + Fosburi ». Fosburi en solo peut aussi être utilisé mais il n’aura pas la même efficacité globale sur les adventices que les associations. « Sur ray-grass à l’automne, l’association Défi + Carat fonctionne bien mais moins sur vulpin. Sur cette mauvaise herbe, on aura peu de solutions de rattrapage au printemps », détaille l’ingénieur.

Intervenir uniquement en rattrapage au printemps avec une sulfonylurée doit être réservé aux parcelles propres ne présentant pas de problèmes de résistances. « On incite à passer à l’automne parce qu’au printemps, il y a de plus en plus de problèmes d’efficacité. Mais la difficulté sera d’alterner les modes d’action. On va vite tourner en rond pour les désherbages d’automne car cela va reposer sur une poignée de molécules, avec le risque d’apparition de nouvelles résistances. » Et ce ne sont pas les nouveaux produits homologués pour cette nouvelle campagne qui vont changer la donne (lire l’encadré page 48).

DowAgroSciences attend l’homologation, fin 2016, d’une toute nouvelle famille chimique, Arylex active, « premier membre de la famille des arylpicolinates, une classe d’herbicides de synthèse entièrement nouvelle appartenant au groupe HRAC O. Mais contrairement aux herbicides auxiniques « classiques » qui n’agissent pas à basses températures par exemple, Arylex fonctionne quelles que soient les conditions. Il est efficace aussi à très faible grammage ! », détaille la firme. Cette gamme d’antidicotylédones serait commercialisée dès 2017. Arylex pourra s’appliquer sur une fenêtre d’application très large : du stade 1 feuille au stade fin gonflement selon le produit. « Elle devrait permettre de lutter efficacement contre de nombreuses dicotylédones, y compris les résistantes. »

Priorité à l’ agronomie

Reste que de nouveaux modes d’action ne sont pas attendus avant cinq à dix ans. Dans ce contexte, il est indispensable de mettre en œuvre tous les leviers agronomiques pour réduire la pression des adventices et faciliter la lutte dans la culture. Avec la campagne passée et des salissements notables, ces leviers sont d’autant plus importants à prendre en compte cette année. Et « il est utopique de penser que sur population moyenne à forte, la chimie soit le seul salut !, insiste Arvalis. Les herbicides doivent toujours être considérés comme la dernière étape d’une stratégie de désherbage et non l’inverse. » Tous les moyens agronomiques permettant de diminuer les densités de vulpins et ray-grass, cibles principales de l’isoproturon, sont à activer avant la mise en place de la céréale.

Par exemple, la rotation des cultures, en alternant et décalant les cycles « semis-récolte » des cultures et « levée-maturité » des mauvaises herbes, réduit la pression des adventices d’une parcelle. La fonction de désherbage du labour reste aussi d’actualité. L’incorporation des semences en profondeur pénalise le cycle et le potentiel de croissance des adventices, notamment les graminées. En effet, le vulpin, le ray-grass ou le brome se caractérisent par une germination superficielle de leurs semences et un taux annuel de décroissance du stock semencier élevé (supérieur à 75 %).

Quant au faux-semis, il est intéressant s’il est répété pendant l’interculture et sur plusieurs années. Attention, en présence de vulpin, il est inutile de réaliser ces opérations pendant l’été pour le faire germer car il lève majoritairement en septembre/octobre. Mais la technique du faux-semis a ses limites, comme cette année. Du fait de la sécheresse actuelle, les repousses et les mauvaises herbes n’ont pas levé. Et s’il ne pleut pas avant les semis, cela risque de lever dans la culture. Or le stock semencier est important cette année, beaucoup de parcelles étaient sales avant la récolte. Outre la douceur des températures, il a plu souvent au printemps, ce qui a favorisé les relevées, malgré une bonne efficacité des traitements à l’automne, très nombreux en 2015 grâce aux bonnes conditions météo (douceur et absence de pluies) et à des semis très précoces. La question se pose toutefois de savoir si les adventices ont produit autant de graines que d’habitude.

Combiné à un faux semis, le décalage de la date de semis permet de diminuer les populations de graminées de 50 à 90 % (lire l’encadré page 48 sur les essais Arvalis dans le Centre). Ce levier est difficile à appliquer en cas d’automne humide, il convient donc de l’utiliser dans les situations les plus difficiles. Sans oublier de réaliser une application de prélevée car le semis tardif tend à repousser le désherbage en sortie d’hiver. Si les populations sont résistantes, cela ne fait que décaler le problème.

Désherbage mécanique

Autre alternative, le désherbage mécanique. Dans le cadre d’une stratégie « mixte mécanique », un ou plusieurs passages d’outils sont réalisés avant un rattrapage avec un herbicide. « Sur blé, un passage de herse étrille dès l’automne est aussi efficace qu’une urée sur vulpin, estime la chambre d’agriculture de Champagne-Ardenne. Il permet d’économiser un herbicide d’automne. » De son côté, Arvalis juge cette stratégie efficace mais elle « nécessite de multiplier les passages mécaniques de sortie d’hiver et peut conduire à effectuer un rattrapage sur des adventices bien développées. Ce qui est très délicat sur graminées avec des rattrapages sur adventices développées et impossible a fortiori sur adventices résistantes. » En stratégie « mixte chimique », l’herbicide est complété par un ou plusieurs passages mécaniques. Si le produit est appliqué à l’automne, l’efficacité de l’outil est régulière et élevée.

En stratégie « tout mécanique », les résultats sont meilleurs lorsque le premier passage d’outil est effectué dès l’automne, sur adventices jeunes. « Grâce à une agressivité plus importante que la houe ou la herse étrille, la bineuse contrôle des adventices plus développées. Attention à ne pas endommager le système racinaire de la culture », note l’institut technique. La chambre d’agriculture de Champagne-Ardenne confirme : « Il est possible de biner des interrangs de 20 cm mais les inconvénients sont de taille : ce type d’écartement peut pénaliser le rendement des céréales. Par ailleurs, le recours à un système d’autoguidage coûteux est indispensable pour obtenir un débit de chantier acceptable (4 à 5 ha/h). Enfin, les rangs ne reçoivent ni désherbage mécanique, ni désherbage chimique. »