« Il y a une politique de la grande distribution qui vise à faire les marges les plus faibles possible sur des produits ultratransformés et des marges très élevés qui vont jusqu’à 30, voire 40 % sur d’autres produits », dénonce Marie-Amandine Stévenin, avocate et présidente de l’UFC-Que choisir. Les 17 et 18 décembre 2025, elle participait à une des deux tables-rondes animées par le Sénat. L’objectif : éclaircir la construction des prix et des marges dans la grande distribution. Cette discussion, qui fait suite à l’adoption des lois Egalim, prend place dans un contexte économique particulier avec, d’un côté, des producteurs « découragés » et, de l’autre, des consommateurs qui subissent toujours l’inflation.

« Les distributeurs font de la prise de marge sur les produits qui sont sains »

Cette « péréquation » réalisée par la grande distribution donne l’impression que la moyenne des marges est raisonnable alors qu’en réalité, il y a une différence entre les produits. Marie-Amandine Stévenin, la présidente de l’UFC-Que choisir interrogée à l’occasion de ces tables-rondes, constate que les marges sur les fruits frais représentent jusqu’à 44 % du prix final, et celles sur les légumes jusqu’à 67 %, pointant un « enjeu de santé ».

Le journaliste Olivier Dauvers explique cette péréquation comme le résultat d’une concurrence des prix entre marques d’un même produit. Selon lui, « la bataille de prix, qui se fait aujourd’hui de manière quasi automatique, fait que dès lorsque c’est le même produit, [le montant des] prix sont limités ». Ces produits sont alors utilisés comme « produits d’appel ».

« On a l’impression de travailler pour les autres marques […], nos produits servent à rentabiliser un magasin », déplore Ronan Collet, producteur de tomates et membre du conseil d’administration de la Fédération nationale des producteurs de fruits. Selon lui, face à la concentration de la grande distribution, un rapport de force quotidien existe entre les distributeurs et les producteurs, que ces derniers tentent de rééquilibrer en se rassemblant en organisation de producteurs.

Des produits nationaux dévalorisés

En France, la grande distribution privilégie l’importation de produits en provenance de pays où la main-d’œuvre est peu chère comme l’Espagne, ce qui « tire le prix de référence en France vers le bas », souligne Bruno Darnaud, président de la gouvernance des fruits et légumes. « On vous explique que si vous voulez vendre, vous êtes obligé de baisser les prix », déplore-t-il.

L’association Familles rurales n’a pu constituer un panier, respectant les recommandations du programme national nutrition santé (PNNS), à moins de 533 € par mois pour une famille de quatre. Cela même en utilisant les articles de premiers prix. « L’accès à l’alimentation saine devient un problème de santé public », relève Nadia Ziane, directrice du département de la consommation de l’association.

Selon elle, « on ne demande pas à ces acteurs économiques de gagner moins d’argent, on leur demande d’en gagner différemment dans un objectif de santé publique et de repenser la manière dont ils réalisent leurs marges ».

Un besoin de transparence

Pour la présidente de l’UFC-Que Choisir, la mise en place du seuil de revente à perte + 10 % (SRP + 10 %), qui vise à interdire aux distributeurs la revente de produits alimentaires en dessous d’un niveau égal à leur prix d’achat + 10 %, « a raté sa cible ». Si la suppression du seuil n’est pas à l’ordre du jour, elle demande de la transparence sur la construction des prix et des marges ainsi qu’une surveillance de l’application des lois Egalim, sous peine de sanctions.

Cette notion de transparence se retrouve aussi chez Olivier Dauvers. Il suggère que dans les produits « où la composante matières premières est très simple à identifier, il faut aller vers l’affichage du prix payé par le producteur ». De plus, Nadia Ziane propose de « sacraliser les prix de certains produits qui relèvent du PNNS ».

En revanche, le journaliste Olivier Dauvers propose d’augmenter le SRP à + 20 % pour assurer « une baisse des marges sur les produits transformés », idée réfutée par François Carlier, délégué général de l’association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV). Ce dernier précise qu’il ne s’agit pas d’un problème « d’environnement des prix » mais bien d’une baisse de production.

Selon lui, il faut augmenter la capacité de production de certains produits pour détendre le marché et éviter la hausse des prix. Or, selon l’arboriculteur et membre du conseil de la Fédération nationale des producteurs de fruits, Mickaël Mazenod « la baisse du nombre de producteurs et la baisse de surfaces exploitées en fruits en France est le premier indice d’un découragement ».

En France, plus de 70 % des fruits consommés sont importés. Les producteurs attendent, d’une part, que les distributeurs « rentrent dans le jeu » et que, d’une autre part, les consommateurs fassent un « acte d’achat souverain et acceptent de payer un peu plus cher pour un produit français », conclut Ronan Collet.