Les concentrations de glyphosate dans les rivières européennes ne peuvent pas être expliquées par son usage dans l’agriculture, c’est ce que conclut une étude de l’université de Tübingen (Allemagne), publiée dans la revue Water Research le 23 juillet 2024.
L’équipe de chercheurs a découvert que la plus grande partie du glyphosate qui se retrouve dans les eaux européennes ne provient probablement pas de cet herbicide, comme on le supposait auparavant, mais plutôt d’additifs utilisés dans les lessives européennes.
« Ces résultats pourraient expliquer pourquoi il n’a pas été et ne sera pas possible de réduire la pollution des rivières par le glyphosate en Europe grâce à des stratégies de réduction des herbicides », résume le professeur Carolin Huhn, de l’Institut de chimie physique et théorique.
Incohérences entre les États-Unis et l’Europe
Pour comprendre les sources de glyphosate dans les eaux de surfaces et dans les sols, les chercheurs ont réalisé une vaste méta-analyse des concentrations dans les rivières de glyphosate et de l’AMPA, principal produit issu de sa dégradation. « Ces deux substances peuvent via les précipitations se retrouver dans les rivières », explique Carolin Huhn. Ils ont inclus les données d’une centaine de sites aux États-Unis et en Europe, notamment en France, relevés plusieurs fois par an depuis au minimum dix ans.
Cependant, les chercheurs ont rapidement mis le doigt sur des incohérences dans les concentrations observées de glyphosate, entre les États-Unis et l’Europe. Si aux États-Unis, les pics de concentration de glyphosate et d’AMPA correspondent aux périodes d’épandage d’herbicides par les agriculteurs, la situation se révèle différente en Europe, où les pics de concentration ne concordent pas avec cette hypothèse.
L’agriculture n’explique pas les pics européens
Plus en détail, les chercheurs expliquent que les données américaines révèlent des concentrations plus importantes de glyphosate et d’AMPA lorsque le débit des rivières est élevé, ce qui indique probablement une propagation par la pluie après l’épandage de l’herbicide, et confirmerait un apport agricole majoritaire.
À l’inverse, les modèles de concentration dans les rivières européennes ne s’expliquent pas par l’herbicide. Ils présentent « une forte saisonnalité », avec des concentrations élevées en été et faibles en hiver. Un modèle qui ne coïncide ni avec les principales périodes d’application de l’herbicide en agriculture, au printemps et à l’automne, ni avec le processus de concentrations accrues après des évènements pluvieux.
Pour ajouter aux incohérences, alors que les scientifiques s’attendaient à trouver des concentrations plus élevées à proximité des zones agricoles, les concentrations restent faibles.
Les lessives, sources de glyphosate ignorées
Retournement de situation pour les scientifiques, les schémas de concentration en Europe correspondent à ceux des marqueurs d’eaux usées. Le profil saisonnier observé « est connu pour les substances qui pénètrent dans les eaux de surface à partir des stations d’épuration, telles que les produits pharmaceutiques et les produits chimiques ménagers », précisent-ils. Étude bibliographique à l’appui, ils démontrent que la principale source de glyphosate et d’AMPA dans les rivières doit provenir des eaux usées des stations d’épuration.
Une substance chimiquement apparentée au glyphosate résoudrait toutes les questions selon les chercheurs : les aminopolyphosphonates, largement utilisés en Europe mais très peu aux États-Unis, notamment dans les détergents à lessive. Des tests en laboratoire sont par la suite venus confirmer la formation de glyphosate dans les stations d’épuration des eaux usées à partir de cet additif de lavage. Cette source de glyphosate aurait ainsi été négligée pendant des décennies.
« Nous sommes conscients que nos résultats peuvent avoir des implications considérables, notamment pour l’industrie et les décideurs politiques, mais aussi pour la manière dont la surveillance des eaux de surface peut être améliorée », conclut l’équipe de chercheurs.