Après trois ans à naviguer entre trois sites d’élevage, Célia et Lucie Benaud apprécient le confort de leur nouveau bâtiment, en périphérie de Cruseilles, en Haute-Savoie. En 2021, les deux sœurs concrétisaient un projet de longue date en s’installant ensemble, hors cadre familial, en élevage caprin laitier.
« Nous avons créé l’exploitation à partir de rien, souligne Célia, l’aînée de cinq ans. En attendant ma sœur, j’ai été salariée en service de remplacement, puis dans les transports. Après ses diplômes, Lucie a été responsable de transformation en élevage laitier. Ces années de salariat nous ont permis d’accumuler de l’expérience et de la trésorerie pour disposer d’un apport au moment d’investir. »
Refus de permis de construire
Le premier obstacle sur leur route ne fut pas financier, mais réglementaire. « Le permis de construire a été refusé car l’endroit prévu était dans une zone classée, relate Célia. Nous avions déjà réservé nos chevrettes, car nous voulions des animaux issus d’un seul troupeau pour des raisons sanitaires, et nous avions trouvé un élevage avec une super génétique qui obligeait à les réserver un an à l’avance. Nous nous sommes donc installées et débrouillées pour trouver un bâtiment pour nos cinquante chèvres, un site où stocker le fourrage et un autre pour le matériel. »
Quand elles ont enfin trouvé un terrain où construire leur chèvrerie, c’est l’argent qui posait problème. « En 2022, tous les devis avaient pris 40 % et les banques ne suivaient plus, se rappelle Célia. Nous avons refait des dossiers, nous sommes battues, et avons pu attaquer les travaux en septembre 2023. » Un an plus tard, le bâtiment à 700 000 € accueillait sous un même toit les chèvres, la fromagerie, le magasin, les bureaux, les fourrages et le matériel.

Dans ce bâtiment prévu pour 95 mères, le cheptel s’agrandit lentement par croissance interne pour minimiser le risque sanitaire. Les seuls animaux achetés à l’extérieur — après prise de sang — sont les cinq boucs, renouvelés tous les deux ans pour éviter la consanguinité. Avec une moyenne de 4 kg par jour par chèvre, la génétique du troupeau n’a pas déçu.
Les 300 litres quotidiens sont transformés à la ferme en une quinzaine de produits : fromages frais, bûches, pâtes pressées, yaourts et flans. Tout est vendu localement à une clientèle de particuliers et professionnels aussi diversifiée que fidèle.
Objectif : des fromages toute l’année
Épaulées par une apprentie, les deux sœurs s’affranchissent peu à peu de l’aide des parents, grâce au gain de temps permis par le nouveau bâtiment. Mais la saison des mises bas, qui débute fin janvier et dure un mois, est intense. Sur le plan sanitaire, rien n’est laissé au hasard : pansement du tube digestif, désinfection du nombril, mesure du colostrum avant distribution… À l’avenir, le schéma des mises bas pourrait évoluer. « Au vu des amortissements et pour fournir notre magasin, nous aimerions avoir des fromages toute l’année, explique Célia. Tout en restant en saison naturelle, nous essaierons de passer un tiers du troupeau en lactation longue. » Cela réduirait aussi le nombre de naissances, dans un contexte où les mâles se valorisent difficilement.

Si l’arrêt d’un engraisseur local a déstabilisé la filière, Célia et Lucie ont su, en anticipant, tourner ce problème en opportunité. « Pour engraisser nous-même nos mâles, nous avons réservé très en avance des dates d’abattage et un prestataire de découpe, et communiqué dès janvier auprès de nos clients et sur les réseaux sociaux, relate Célia. Cela a bien marché : nous avons eu beaucoup de demandes de particuliers et professionnels. L’élevage des cabris prend environ une heure par jour, mais nous y prenons du plaisir. Le plus dur est de gérer l’agenda entre l’abattage, la découpe et les commandes. C’est du travail, mais bien plus intéressant que de vendre un chevreau de huit jours à 5 €. »