Ce devait être un emplacement de rêve pour vendre des fromages fermiers. Surplombant le village-station des Gets, en Haute-Savoie, la ferme de Caroline et Noël Antonioz borde la route qui mène au domaine skiable l’hiver et au golf l’été. Mais ils reçoivent plus de critiques pour la paille ou le fumier, que de clients. Finalement, l’activité tourne surtout avec les magasins de la vallée.
Le couple s’est fait une raison : « On ne bénéficie pas du tourisme, on le subit seulement. » La semaine du nouvel an est la pire : celle où la surenchère de feux d’artifice sème la panique dans l’étable, fait redouter un incendie et disperse des débris dans les prés.

Vaches de race hérens et chèvres
En vingt ans, la ferme transmise par les parents de Noël s’est retrouvée encerclée de chalets de vacances à 4 millions d’euros, là où lui avait l’habitude de faire ses foins. Succédant à ses parents en 2005, il a été double actif jusqu’à ce que Caroline s’installe en 2008, avec la DJA (dotation jeune agriculteur). Pris de passion pour les vaches hérens, le couple est l’un des seuls en France à traire exclusivement cette race montagnarde connue pour sa fougue. Ils élèvent aussi quarante-cinq chèvres, au lieu des 70 prévues initialement dans leur plan d’entreprise.
La difficulté à obtenir un permis de construire les avait conduits à redimensionner le projet : heureusement, car le potentiel de vente n’est pas celui espéré. Vaches et chèvres sont nourries à l’herbe sans complémentation. Elles passent six à sept mois en alpage. Le lait est transformé en fromages. L’été, des repas au chalet d’alpage sont proposés deux soirs par semaine, avec fromages et charcuterie de la ferme. Il y a trois ans, le label bio est venu officialiser des pratiques qui l’étaient déjà.

Sur la commune, l’agriculture a quasiment disparu. La seule surface classée « agricole » correspond aux 2 500 m² d’emprise de la ferme, leur seule surface en propriété. Et le couple a dû batailler pour conserver ce classement. Leurs fils ont longtemps cherché du foncier pour s’installer. L’un est parti ailleurs avec ses vaches. L’autre, en attendant mieux, vit dans une tiny house (1) derrière la ferme, et a construit une étable légère en bois abritant dix vaches.
« Nous sommes entourés de chalets vides et il n’y a pas moyen de se loger », soupire Caroline. Stagiaires et saisonniers sont donc logés à la ferme. Même si ce manque d’intimité pèse, les stagiaires sont les bienvenus : « Quand j’ai démarré, des agriculteurs ont eu le courage de me prendre en stage alors que j’avais 37 ans et peur des animaux : je rends ce que j’ai reçu », sourit Caroline.
Cohabitation compliquée
L’impact du tourisme ne se limite pas aux chalets. « La montagne a été dévastée, déplore l’agricultrice. Les pistes ont été aplanies pour le ski, la belle végétation arrachée… Il y a eu des créations de réserves d’eau qui ont grignoté des hectares, et trois vagues d’installations de canons à neige. Lors des travaux, il y a eu jusqu’à 5 000 passages de camions près du chalet d’alpage où on trait ! » Le ski n’est pas le seul souci.
« Vingt pistes de VTT de descente sillonnent l’alpage, sur une centaine de kilomètres, indique Noël. Cela nous a retiré 13,5 ha, donc autant de fourrages et d’aides Pac. Or, on ne peut pas se passer de ces aides au prix où on vend nos fromages et notre viande. »
Et la cohabitation est compliquée. « Des chèvres se font renverser par les VTT, reprend l’éleveur. Avec la pratique du sport nocturne, les chiens de protection n’y comprennent rien et nous réveillent. Et les vaches ingèrent les débris de canettes qui ont été jetés : nous ne prenons plus de vaches en pension car nous en avons perdu trois de cette manière. » Pendant trente ans, l’activité de la ferme a permis de rembourser les emprunts et couvrir les charges.
Cette année, le couple a commencé à se sortir un salaire mensuel de 1 000 € chacun. « On fait un beau métier et de la manière qu’on aime, ajoute Noël. Et même s’ils nous ont vus lutter pour exister, nos fils sont encore plus passionnés que nous ! »
(1) Petite maison en bois, mobile.