Deux oies montent la garde à l'entrée de la ferme du Clos. Un concentré de biodiversité y attend le visiteur : un troupeau caprin bigarré, deux génisses, quatorze moutons, des volailles colorées, trois cochons poilus, quelques lapins, quatre équins, des ruches... Ce petit monde cohabite sur l'exploitation à laquelle Angélique Doucet a redonné vie il y a vingt-cinq ans dans le parc naturel du Vercors en Isère.

Une ferme à l'abandon

En 1997, la Grenobloise diplômée en économie et administration publique veut s'extraire de la routine et de la pollution. Sans rien connaître à l'agriculture, elle et son mari ont le coup de cœur pour une ferme à l'abandon à Châtelus. Angélique s'imagine tenir une ferme-auberge avec une production vivrière, son mari gardant un travail extérieur. Face à une Safer réticente, elle remue ciel et terre. « J'ai rencontré le président de la chambre d'agriculture et celui du département, écrit au préfet, contacte les syndicats agricoles et le réseau Accueil paysan, énumère-t-elle. Ce dernier m'a beaucoup soutenue. »

La ferme est enfin achetée et remise en état avec ses six hectares. Angélique acquiert quelques poules, lapins et moutons, cultive des légumes et fait des confitures. En 1999, ses chambres et sa table d'hôtes sont labellisées Accueil paysan. Après un BPREA polyculture-élevage, Angélique rachète 3 ha de noyers et s'installe en 2002 en lait de chèvre. Son bagage scolaire rassure les banques et les 30 000 € de DJA l'aident à investir 100 000 € dans le cheptel, le bâti et le matériel.

Chalets, roulotte et camping sont nichés dans un écrin de verdure. (©  Bérengère Lafeuille)

Les débuts sont durs. « Je n'ai pas atteint mes objectifs à cinq ans, relate-t-elle. De peur de devoir rembourser la DJA, j'ai écrit à tout le monde en rappelant l'état dans lequel j'avais repris la ferme. Et j'ai tout remis à plat : au lieu de miser sur la productivité agricole, j'ai choisi un système extensif en agroécologie et des revenus diversifiés. » Elle passe en bio, adopte la monotraite et développe l'accueil pédagogique et thérapeutique en se formant à la médiation animale. En 2015, elle investit 120 000 € (avec 40 % d'aide) pour installer deux chalets adaptés aux personnes en situation de handicap, une roulotte et des sanitaires. Elle aménage aussi une grande salle et une cuisine. Avec deux chambres d'hôtes et du camping, tout âge et tout budget trouve son compte. La table d'hôtes est assurée sur réservation pour les groupes.

Transformation fromagère

L'activité agricole principale est l'élevage caprin avec transformation et vente aux magasins et restaurants. Les ateliers mineurs sont aussi essentiels : ils servent de support à l'activité d'accueil et approvisionnent la table d'hôtes. Le surplus (noix, sirops, viandes...) est vendu en direct. « Tout est cohérent, ajoute Angélique. Les cochons boivent le petit lait de la fromagerie. Les moutons entretiennent le verger. Les abeilles participent à la pollinisation des fruitiers. Les poules jugulent les insectes et éloignent les serpents. Les équins ont tracé des sentiers de balade. Et faire pâturer plusieurs espèces, ensemble ou successivement, casse le cycle des parasites : je n'ai plus besoin de vermifuger. Et les uns mangent les refus des autres. » Ses animaux vieillissent bien : huit ans en moyenne pour ses chèvres laitières de Savoie.

Les bâtiments sont adaptés à l'accueil de groupes, de scolaires et de personnes en situation de handicap. (©  Bérengère Lafeuille)

Toute personne séjournant à la ferme peut participer librement et gratuitement aux soins aux animaux matin et soir, et à la traite quotidienne. Des activités payantes peuvent s'y ajouter : balade-découverte avec un âne, fabrication d'un produit... « Economiquement, tout s'équilibre, analyse l'éleveuse. J'arrive à payer les salaires, entretenir l'outil et partir en vacances. La diversité des ateliers m'empêche de les optimiser, mais me rend résiliente. Pendant le Covid, le tourisme s'est arrêté mais les fromages ont bien marché. Et quand il fait sec, la production pâtit mais les touristes sont nombreux !  » Angélique travaille onze heures par jour, mais a définitivement tourné le dos à la routine.