La demande s’effondre à la suite du confinement et cela pousse les prix vers le bas d’autant que le prix du pétrole ne parvient pas à remonter.

 

La demande intérieure de blé en forte baisse

Après presque cinq semaines de confinement dans notre pays, les grandes tendances se précisent nettement concernant les conséquences de cette crise sur la demande de céréales. En raison du plongeon des ventes de farine à l’industrie et aux boulangeries, que ce soient artisanales ou industrielles, l’activité de la meunerie est en large régression. La croissance des ventes de farine en sachets pour la consommation à domicile est loin de compenser le reste.

 

Le secteur de l’éthanol est également très touché en raison de l’effondrement des besoins en carburant et de marges bien dégradées pour les fabricants car les cours du pétrole ne parviennent pas à remonter. L’accord entre l’Opep et la Russie la semaine dernière, ainsi que l’engagement des États-Unis à œuvrer à une réduction de sa production lors du G20 du week-end dernier, n’ont pas permis aux prix du baril de remonter. En effet, les USA viennent d’afficher des stocks records de pétrole cette semaine et l’Agence internationale de l’énergie a fait part de son pessimisme quant aux possibilités d’assainissement du marché mondial du pétrole à court terme.

 

Enfin, du côté de l’élevage, les pertes de débouchés pour le lait et la chute du prix de la viande laissent craindre une nette diminution des besoins alimentaires des animaux.

 

Le bilan français s’alourdit

FranceAgriMer, dans sa publication mensuelle, revoit les stocks attendus en fin de campagne à la hausse à 2,6 millions de tonnes (2,4 le mois dernier) sur le marché, soit environ 3 millions de tonnes en y ajoutant les stocks à la ferme.

 

Nous prévoyons, de notre côté, que les stocks pourraient même monter jusqu’à 3,3 millions de tonnes en fin de campagne. La perte de demande intérieure ne concerne pas que la France mais la plupart des pays européens : les opportunités de la France à l’exportation vers ses voisins se dégradent donc aussi.

 

Ainsi, malgré des exportations vers des pays tiers qui fonctionnent très bien — la France est partie pour vendre plus de 13 millions de tonnes en dehors de l’Union européenne, un record historique après les 12,6 millions de tonnes chargées en 2015-2016.

 

Des achats de blé importants sur le marché mondial

Les prix du blé se sont légèrement affaissés cette semaine de 1 €/t environ à Rouen (à 193,5 €/t rendu en base juillet) pour les blés de l’ancienne récolte et de 5 €/t pour les blés de la nouvelle récolte (à 181,75 €/t). Le retour de quelques pluies annoncées sur l’ouest, le sud-est de l’Europe et la mer Noire pour la prochaine semaine ont sûrement aussi contribué à ce léger affaissement.

 

Cette baisse des prix en France a été accompagnée par des chutes de prix aux États-Unis. L’effet des mesures de confinement affecte aussi très fortement le bilan céréalier américain.

 

En revanche, les prix ont encore poursuivi leur remontée dans la zone de la mer Noire en raison d’une forte demande à l’exportation et des contrôles annoncés en Russie, en Ukraine et au Kazakhstan sur les exportations du dernier trimestre de la campagne. Ainsi, pour l’Ukraine et la Russie, les plafonds instaurés pourraient conduire à des coupes sur les exportations en extrême fin de campagne.

 

La Roumanie, quant à elle, a voulu stopper ses exportations à partir du 10 avril 2020 mais les plaintes des opérateurs et la pression bruxelloise (cette pratique n’est pas conforme avec les règles de fonctionnement du marché européen) l’ont poussée à retirer cette interdiction en milieu de semaine. Les chargements ont été handicapés pendant quelques jours mais il semble donc désormais que le pays pourra terminer son programme d’exportation, vers l’Égypte notamment.

 

Ce pays fait justement reparler de lui actuellement. En effet, l’Égypte a effectué deux gros achats cette semaine, pour des chargements avant la mi-juin 2020 ; 120 000 tonnes de blé russe le 14 avril 2020 et, le 16 2020, 180 000 tonnes de blé français ainsi que 60 000 tonnes de blé russe de nouveau.

 

Deux autres gros achats ont eu lieu cette semaine : la Turquie a bouclé 250 000 tonnes pour chargement entre le 20 avril 2020 et le 15 mai 2020. De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’Organisation des Nations unies (ONU) a acheté 200 000 tonnes de blé pour le délivrer au Soudan.

 

Ces achats sont en ligne avec des besoins mondiaux que nous prévoyions en hausse depuis le début de la campagne. Néanmoins, ces réalisations importantes en une seule semaine illustrent probablement la volonté de plusieurs pays très dépendants des importations de couvrir leurs besoins, dans un environnement très incertain à cause de la crise pandémique.

 

Il faut donc faire attention à des achats sous la panique à venir, même si cela ne nous semble pas très probable, vu la différence de prix entre l’ancienne et la nouvelle campagnes. Ils pourraient limiter la baisse des prix qui se dessine comme le feraient aussi des pluies insuffisantes.

 

L’orge croule sous ses stocks

L’orge fourragère perd 2 €/t cette semaine en ancienne récolte et presque 7 €/t en nouvelle récolte pour se situer à 154 et 155,75 €/t rendu Rouen, en base juillet.

 

Les orges françaises de la récolte de 2019, qui étaient plus chères que les concurrentes de la mer Noire, perdent donc 2 $/t sur le marché mondial tandis que les orges russes et ukrainiennes gagnent 4 $/t.

 

Les orges françaises essaient donc de regagner en compétitivité dans un contexte où la demande brassicole chute fortement. En effet, la consommation de bière, dont une partie non négligeable a lieu en dehors du domicile, est en chute libre avec le confinement et cela conduit à une moindre demande des malteurs.L’offre fourragère s’en trouve donc renforcée.

 

Au total, nous prévoyons que les stocks d’orge en France montent au-delà de 2 millions de tonnes en fin de campagne (2,1). Une prévision que vient confirmer le bilan de FranceAgrimer paru cette semaine avec une prévision à 1,875 million de tonnes sur le marché et environ 0,2 million de tonnes à la ferme.

 

La France ne sera pas le seul pays avec des stocks énormes en fin de campagne ; ce sera le cas de l’ensemble de l’Union européenne mais aussi du monde. À cette situation, déjà bien lourde, vient se rajouter une forte chute de consommation anticipée pour les mois d’été (faisant suite au maintien de la fermeture des restaurants et des événements sportifs ou festivals). Les prix s’orientent donc à la baisse. Ces prévisions apparaissent très baissières pour les prix.

 

C’est pour cela que le marché est resté assez neutre à l’achat que l’Arabie Saoudite a réalisé cette semaine : 600 000 tonnes pour chargement sur juillet-août en origines optionnelles.

 

Sur le créneau brassicole, les surplus potentiels s’accroissent donc avec deux conséquences : une compression des primes entre les prix brassicoles et les prix fourragers et un très faible écart entre les prix des orges de printemps et celles d’hiver. Il faut tout de même surveiller les conditions climatiques des prochaines semaines : les orges de printemps souffrent du manque de pluie pour démarrer leur cycle végétatif correctement. Sans humidité suffisante rapidement, les perspectives de production pourraient se dégrader.

 

Les prix du maïs en ordre dispersé

Les prix du maïs chutent aussi cette semaine sur la façade atlantique (–3 €/t, à 158,5 €/t Fob Bordeaux en base juillet) mais ils montent très légèrement au contraire dans l’est de la France à 163 €/t Fob Rhin, base juillet (+0,5 €/t).

 

Dans le nord de la France et de l’Union européenne, le maintien des prix pourrait être dû à des difficultés logistiques pour acheminer les maïs du sud de la France vers le nord et aussi aux basses eaux qui commencent à inquiéter sur le Danube. Elles ralentissent les flux prévus en provenance de l’Europe du Sud-Est.

 

Les évolutions européennes apparaissent minimes par rapport à celles des maïs argentins et américains. Ils perdent tous deux 15 $/t cette semaine avec des arrivées massives sur le marché en Argentine et une réduction drastique de la demande éthanolière aux USA en raison de la chute des besoins en carburants et de la pression exercée par le prix du pétrole (voir ci-dessus).

 

La coupe de la demande efface complètement les révisions à la baisse de la récolte à venir au Brésil. Dans ce pays, le mois de mars a été sec dans les États du Sud (Rio Grande do Sul, Santa Catarina, Paraná, Sao Paulo, Mato Grosso do Sol et Mato Grosso). Un mois sec qui fait suite à un mois de février déjà peu arrosé. Nous avons donc revu à la baisse l’estimation de rendement de la première récolte (il y a deux récoltes de maïs au Brésil).

 

Les prix ukrainiens, quant à eux, ont résisté à la pression baissière de l’Amérique mais les maïs ukrainiens se retrouvent maintenant plus chers que les maïs américains sur le marché mondial. Cela s’est illustré par l’achat récent de l’association coréenne Kocopia qui a choisi l’origine US alors qu’il achète souvent du maïs non-OGM ukrainien.

 

La baisse des prix US devrait donc redonner un peu de vitalité aux ventes américaines et venir et peser sur les maïs ukrainiens ce qui serait aussi baissier pour les maïs français.

 

La situation française, dans son ensemble, est bien lourde avec une forte contraction de la demande éthanolière.

Le soja US pénalisé par la faible demande à l’exportation

Le cours de soja US s’est effondré depuis la semaine prochaine. À Chicago, il cède 10 $/t, à 307 $/t. Plusieurs éléments expliquent ce net recul. La crise sanitaire due au coronavirus Covid-19 continue de peser sur le marché agricole.

 

Le FMI (Fonds monétaire international) prévoit désormais une récession mondiale historique avec une décroissance de 3 % en 2020. Les mesures de confinement, concernant près de la moitié de la population mondiale, affectent déjà la demande alimentaire et le fonctionnement du secteur agroalimentaire.

 

Aux USA, la fermeture de nombreux abattoirs et usines de transformation de viande risque d’impacter la demande en protéines destinées à l’alimentation animale. Néanmoins, la baisse de l’offre en drêche de maïs, liée à la chute de la production de bioéthanol, devrait être compensée par une hausse de la consommation de tourteau de soja. Selon la Nopa (Association nationale des triturateurs états-uniens), la trituration de soja est estimée à des niveaux records sur les mois de février et mars 2020. La demande industrielle en graine pourrait rester soutenue sur les prochains mois pour couvrir la bonne demande en tourteau.

 

La lourdeur du bilan du soja est donc plutôt imputable à la faible demande à l’exportation. En effet, la graine US reste fortement concurrencée par les origines sud-américaines, notamment le Brésil. L’Anec (Association brésilienne des exportateurs de grains) table sur des exportations brésiliennes à 14,5 millions de tonnes en avril, contre 12,6 millions de tonnes en mars. Environ les deux tiers du volume exporté sont à destination de la Chine. En contrepartie, les ventes américaines de la semaine se terminant le 9 avril 2020 étaient en baisse de plus de 50 % sur une semaine à 245 000 tonnes, dont seulement dont 6 000 tonnes destinées à a Chine (contre 143 000 tonnes la semaine précédente).

 

Le tourteau de soja était presque stable à Chicago par rapport à la semaine dernière (à 322 $/t), tiraillé entre la nette baisse du prix de la graine et la bonne demande intérieure. À Montoir, le prix du tourteau recule de 1 €/t, à 346 €/t, dans le sillage de l’origine brésilienne.

 

Repli en colza dans le sillage du pétrole et de l’huile de palme

Le prix de l’huile de palme malaisienne a fortement baissé depuis la semaine dernière (–36 $/t). Selon le Malaysian Palm Oil Board (MPOB), les stocks sont en hausse de 1,6 % entre février et mars. Cela s’explique surtout par une hausse de la production sur la même période.

 

Le prix de l’huile de palme a été également pénalisé par le report de la mise en œuvre du biodiesel B20 jusqu’à nouvel ordre en Malaisie. Cela risque de fortement impacter la demande intérieure. D’autre part, la prolongation des mesures de confinement en Inde, premier importateur mondial d’huile de palme, devrait encore affecter la demande mondiale.

 

En outre, le prix du pétrole plonge en dessous du seuil symbolique des 20 $ le baril malgré l’accord conclu entre les membres de l’Opep + la semaine dernière, visant à baisser la production mondiale. En effet, la baisse de la demande en or noir entraînée par la crise sanitaire risque de surpasser celle de l’offre.

 

Ainsi, le colza français a été entraîné par ce contexte baissier. Son prix cède 3 €/t sur le marché physique (à 362 €/t en Fob Moselle et à 372 €/t en rendu Rouen). Sur Euronext, la baisse était plus modérée (–1,3 €/t, à 371 €/t).

 

Le canola canadien recule de 9 $/t à 324 $/t sur Winnipeg dans le sillage du soja US et des huiles.

 

Le tournesol français suit…

De son côté, le tournesol français a suivi le mouvement du cours de colza, son prix est en baisse de 2,5 €/t, à 337,5 €/t, à Saint Nazaire après quelques semaines de rebond. L’activité sur le marché français reste limitée par la crise sanitaire.

 

Danas la zone de la mer Noire, le prix Fob moyen demeure stable à 385 $/t. Les travaux de semis s’accélèrent en Russie et en Ukraine avec des surfaces emblavées largement supérieures à l’année dernière au même stade. Dans l’hémisphère Sud, la récolte approche de sa fin en Argentine. Les résultats préliminaires indiquent des rendements supérieurs aux attentes.

 

Notons que quelques chargements de tournesol argentin ont été expédiés à destination de la Turquie et de l’Union européenne.

 

 

À suivre : stratégie d’achat des grands importateurs de blé et d’orge, conditions météo pour l’impact sur les cultures d’hiver et de printemps et les semis de maïs dans l’ensemble de l’hémisphère Nord, prix du pétrole, durée des confinements et évolution de l’activité industrielle faisant suite aux confinements, récolte en Amérique du Sud et possibilités d’exportation