Un tollé a éclaté en Ukraine après un nouvel incident à la frontière avec la Pologne. Le 11 février 2024, des agriculteurs polonais mécontents bloquant la frontière avec l’Ukraine ont déversé sur la route des céréales ukrainiennes à destination de l’Union européenne.
Kiev a dénoncé lundi un incident « inacceptable », tandis que Varsovie a ouvert une enquête.
Vives réactions en Ukraine
Cette action inédite a suscité de vives réactions en Ukraine, pays à forte tradition agricole confronté depuis deux ans à l’invasion russe et où des millions de personnes sont mortes en 1932-1933, pendant la Grande famine (Holodomor) organisée par le régime stalinien.
« La détérioration des céréales ukrainiennes à la frontière polonaise est inacceptable », a fustigé sur X le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba. Le ministère ukrainien de la Politique agraire a lui déclaré dans un communiqué « dénoncer fermement » la « destruction délibérée » de céréales qui « n’a rien à voir avec des protestations pacifiques ». « Nous suivons de près l’enquête sur cet incident et espérons que les auteurs seront rapidement identifiés et punis », a-t-il ajouté.
La Pologne s’excuse
« Au nom des agriculteurs polonais, je m’excuse pour un tel acte de désespoir et demande de la compréhension pour leur situation extrêmement difficile », a déclaré le ministre polonais de l’Agriculture, Czeslaw Siekierski dans un communiqué lundi soir. « Ce n’est pas la bonne forme de protestation, mais elle est souvent utilisée par les agriculteurs dans différents pays », a-t-il poursuivi à propos de l’incident survenu dimanche.
Le parquet polonais avait par ailleurs annoncé lundi avoir « ouvert une enquête ». Selon les propos de la porte-parole du parquet de Lublin, Agnieszka Kepka, recueillis par l’AFP, les responsables de l’incident pouvaient risquer jusqu’à « cinq ans de prison ». Elle a précisé que la Pologne compte parmi les plus grands soutiens de l’Ukraine depuis l’invasion russe, mais les frictions liées à l’interdiction unilatérale des importations de céréales par Varsovie ont entamé les relations entre les alliés.
Nouvelle vague de protestations en Pologne
Des agriculteurs polonais ont entamé vendredi 9 février le blocage de plusieurs passages de la frontière avec l’Ukraine. Ils avaient arrêté dimanche un camion transportant des céréales ukrainiennes, alors qu’il traversait la frontière, et déversé sa cargaison, protestant contre ce qu’ils perçoivent comme une concurrence déloyale de la part de leurs homologues ukrainiens.
Sur des images partagées sur les réseaux sociaux, on peut voir des tas de céréales, parfois recouverts d’un drapeau de l’Union européenne, au milieu d’une route, dans le cadre de manifestations organisées à travers toute la Pologne pour protester contre la concurrence de l’Ukraine et les lourdes réglementations européennes.
Rolnicy z Dorohuska uhonorowali Kołodziejczaka. pic.twitter.com/9uzC8mzp9W
— Rafał Mekler (@MeklerRafal) February 11, 2024
Ces derniers jours, les autorités polonaises ont évoqué la possibilité d’imposer de nouvelles interdictions d’importation de produits agricoles ukrainiens pour protéger leurs agriculteurs. La Pologne avait interdit les importations de céréales ukrainiennes sous le précédent gouvernement nationaliste du PiS, mais a maintenu cette interdiction après l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle coalition pro-UE en octobre 2023.
La Commission européenne a indiqué lundi « continuer » à chercher des « solutions » qui permettraient de préserver « un soutien économique maximal à l’Ukraine », ravagée par deux ans de guerre. « Nous pensons que le travail doit être fait non pas à la frontière, non pas dans une situation de pression, mais en s’asseyant à la table des négociations », a déclaré un porte-parole de la Commission, Olof Gill.
Les Ukrainiens profondément indignés par cet acte
« Il est douloureux de voir les céréales ukrainiennes éparpillées sur la route », a écrit sur Facebook la députée Iryna Guerachtchenko : « le pain est sacré pour les Ukrainiens. Notre mémoire génétique garde au fond de nous les horreurs de l’Holodomor ».
« Les agriculteurs ukrainiens travaillent sous les bombardements constants de l’ennemi et subissent d’énormes pertes. Ils paient leur récolte très chère, parfois avec leur vie », a de son côté renchéri le ministère ukrainien de la Politique agraire.
Certains participants à ces protestations appartiennent à l’extrême droite polonaise et ont précédemment pris part à l’organisation du blocus de la frontière par des routiers polonais fin 2023. Andriï Sadovy, le maire de Lviv, grande ville de l’Ouest ukrainien proche de la Pologne, a jugé sur Telegram « honteuses » les actions dues selon lui à « des provocateurs polonais […] prorusses ».