Dans le Pas-de-Calais, Benoît Guilbert s’est installé en 2019 sur la ferme familiale à Bucquoy, après y avoir été salarié. Il a pris la suite de son père, qui avait arrêté le labour et mis en place des techniques culturales simplifiées (TCS). « C’était d’abord un choix technico-économique, raconte Benoît. C’est plus tard qu’il a compris l’intérêt des couverts. »
À son arrivée sur la ferme, Benoît avait « envie de faire autrement ». Il s’engage en Agriculture de conservation des sols (ACS), convaincu de l’importance de la santé de ses sols. Il cherche aussi des moyens de financer sa transition. « Je me suis demandé s’il existait un autre modèle économique, puisque la société veut qu’on produise mieux, et que l’ACS répond à ces besoins comme le stockage du carbone, la biodiversité, la qualité de l’eau… C’est aussi du temps, de la formation, un risque de baisse de rendement et parfois aussi des échecs. » Il n’a cependant pas attendu d’aides pour se lancer et faire des essais, « parce que j’étais motivé par le sol et l’agronomie », explique-t-il. Il met notamment l’accent sur la couverture de ses sols.
En 2018, il s’engage pour cinq ans dans une Mesure agroenvironnementale et climatique (MAEC) « semis direct ». Une expérience qu’il regrette. « J’ai respecté le cahier des charges pourtant strict, j’ai reçu des agriculteurs chez moi, fait des interventions dans des écoles, ai travaillé avec les chambres d’agriculture… Et j’ai dû rembourser une partie des aides pour des raisons d’assolement », déplore-t-il. Il tente de trouver d’autres voies de valorisation. Producteur de pommes de terre, betterave, lin fibre, colza, pois de conserve ou encore céréales, il sollicite ses filières. À ce jour, aucune ne propose de rémunération pour ses pratiques vertueuses.
Accompagnement à l’innovation en betterave
L’agriculteur a toutefois bénéficié d’une forme d’accompagnement sur la betterave, par Saint Louis Sucre, lorsqu’il a réintroduit la culture dans son assolement en 2017. L’industriel, intéressé par la conservation des sols, a proposé à Benoît de l’accompagner dans la mise en place d’itinéraires innovants pour la betterave. « C’est la première fois que je rencontrais un industriel qui croyait à ces techniques. Je n’ai pas pu refuser », se souvient-il. Les différentes modalités, implantées sur des petites parcelles, sont suivies jusqu’à la récolte. Saint Louis Sucre s’engage à couvrir la perte de rendement. « Il y a eu des échecs, décrit Benoît. Cela m’a aussi permis de développer de nouvelles techniques, avec du strip till et des couverts, que j’ai dupliqué sur d’autres de mes cultures. »
Benoît s’est par ailleurs fait certifié Haute valeur environnementale (HVE), motivé par le crédit d’impôt. « J’avais terminé la MAEC, je cherchais à me challenger. Sauf que je ne valorise pas du tout le HVE. Personne ne m’achète mieux mes marchandises. »
L’agriculteur s’intéresse pour la première fois à la rémunération liée au stockage du carbone en 2018. Il fait auditer son exploitation par un organisme, mais décide de ne pas poursuivre, refroidi par les coûts liés à la démarche. « J’ai laissé tomber le financement du carbone, jusqu’à ce que je rencontre Sysfarm. À cette époque, arrivait aussi le Label bas carbone », ajoute-t-il. Sysfarm est un intermédiaire entre agriculteurs, porteurs de projet et acheteurs de crédits carbones labellisés. L’agriculteur apprécie la structuration de la filière carbone, ainsi que son encadrement par l’État. « Je n’attendais que ça de valoriser mes pratiques, alors j’ai accepté d’être audité à nouveau », explique-t-il.
300 crédits carbone générés
Réalisé en 2023, le bilan carbone a calculé que la ferme de Benoît génère environ 300 crédits carbone labellisables par an. 70 % du stockage du carbone est lié à ses couverts, et le reste à la restitution des résidus de blé et colza. Benoît partait déjà « de haut ». Malgré sa faible marge de manœuvre, il est parvenu à actionner de nouveaux leviers pour améliorer encore son bilan carbone, en baissant la fertilisation azotée au profit de l’organique, en implantant des plantes compagnes ou des doubles couverts. L’agriculteur dispose d’un semoir sur sa moissonneuse-batteuse qui lui permet de semer ses couverts sous la coupe. « Cela permet aux graines d’être en contact avec le sol et sous le mulch des pailles broyées », indique-t-il.
Les crédits carbone sont, pour l’heure, son seul revenu lié à sa transition. Sysfarm, qui s’occupe de leur vente, a également proposé à Benoît de souscrire en parallèle à une nouvelle MAEC, forfaitaire cette fois-ci et avec un cahier des charges moins restrictif. Echaudé par sa précédente expérience, Benoît a refusé. Son exploitation sera auditée chaque année pendant les cinq ans du projet Label bas carbone, et Benoît recevra une rémunération tous les ans pour ses pratiques améliorantes. Il devrait recevoir son premier versement cet automne. « J’ai démarré ma première réflexion carbone en 2018, et il aura fallu attendre 2025 pour que ça paye », résume-t-il.
Benoît devrait prochainement rencontrer l’acheteur de ses crédits, l’entreprise Citwell. « C’est important pour moi de les connaître, parce que je veux que cette démarche ait du sens », insiste l’agriculteur. Le bilan carbone et les crédits labellisés sont « une brique au financement du mieux », considère-t-il. Connaître sa performance carbone le challenge. « Cela me donne des repères pour essayer de faire aussi bien l’année suivante. »