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Du local, du bio et de la qualité. C’est le nouveau mantra des collectivités pour la restauration collective, des tout-petits à la crèche aux aînés en Ehpad. Les obligations découlant de la loi Egalim (50 % de produits de qualité, dont 20 % de biologique dans la restauration collective, NDLR) ont institué un changement de paradigme concernant les compétences agricoles des collectivités.

Dans les cantines bordelaises, par exemple, « 57 % des produits sont bio, aux trois quarts local ou régional », se félicite Eve Gabrielle Demange, élue de la métropole. Son moyen ? Un projet alimentaire territorial (PAT) qui permet de développer une politique alimentaire globale sur son territoire en fédérant les acteurs agricoles et institutionnels. Des communautés de communes, aux départements, en passant par les agglomérations, 435 PAT sont recensés en 2024 en France, dix après le lancement du programme.

Pour répondre aux obligations d’Egalim, les collectivités achètent auprès d’agriculteurs locaux, réinstallent des producteurs, et par le même coup, redynamisent leur territoire. Alors que la moitié des agriculteurs partiront à la retraite d’ici à quelques années, des collectivités comptent aussi s’engager dans le secteur pour rétablir la souveraineté alimentaire de la France.

Mais parfois, elles se heurtent aux spécialisations agricoles du territoire. À Strasbourg, où le maïs est maître, la métropole a mis en place un « plan légumineuse » intégré au PAT. L’objectif est de « relancer ces productions », espère Antoine Neumann, conseiller municipal, grâce à la diversification des repas avec des avantages à la clé : une meilleure santé des consommateurs et la lutte contre le réchauffement climatique.

Structuration des filières

Dans une démarche de réduction de l’impact écologique de l’alimentation et de souveraineté alimentaire, la structuration de nouvelles filières fait partie intégrante de l’engagement des collectivités.

À Bordeaux, la cuisine centrale prépare 23 000 repas par jour, un volume auquel un maraîcher ne peut pas répondre seul. Elle a donc cherché des intermédiaires : « Une légumerie centralise la production de plusieurs fermes et nous rachetons ensuite avec la cuisine centrale », se réjouit Eve Gabrielle Demange.

« Le maraîchage n’est pas une profession très structurée, observe Eric Ducoudray, directeur de la Ceinture Verte Normandie. Pour des maraîchers installés sur deux hectares, c’est compliqué de répondre à la restauration collective. L’intérêt, c’est de pouvoir les fédérer. » La Ceinture Verte, organisme national, vise à installer des jeunes maraîchers en agriculture biologique autour des agglomérations.

Foncier agricole

Le foncier est le deuxième levier à la disposition des collectivités. Face au prix des terres qui augmente, s’installer devient vite mission impossible pour la jeune génération. La Ceinture Verte leur propose des exploitations en fermage « clés en main » : un hectare de pleine terre, 1 500 m² de serre, « entièrement équipée et irriguée », un hangar de stockage et un bâtiment d’exploitation. « Pour y accéder, les maraîchers paient une cotisation progressive de 300 à 600 euros », selon les années, détaille Eric Ducoudray.

La Ceinture Verte se déploie « à la demande des acteurs des territoires », souvent des agglomérations, comme en Normandie au Havre, à Rouen ou à Caen. Est alors créée une coopérative au sein de laquelle « il y aura toujours la collectivité » et parfois des acteurs du monde agricole. C’est le cas au Havre, où la chambre d’agriculture et le syndicat Jeunes Agriculteurs sont sociétaires de la Ceinture Verte qui compte actuellement trois fermes, toutes sur un terrain acheté à la commune de Montivilliers via un bail emphytéotique.

L’organisme cherche à intégrer les collectivités à toutes les échelles : « On joue le jeu de la collectivité globale (la métropole du Havre, NDLR) et on sollicite les communes » pour trouver « des terres propices au maraîchage ».

De son côté, la métropole bordelaise a décidé de mettre en place un périmètre de protection et de valorisation des espaces agricoles et naturels (PEANP) sur 785 hectares pour conserver les terres agricoles et lutter contre la spéculation foncière.

Enfin, se structurent diverses foncières agricoles, menées par les collectivités, avec en tête, les Régions. C’est le cas de la foncière agricole de l’Occitanie, qui a installé onze agriculteurs sur le territoire depuis 2022 en achetant une partie du foncier des exploitations.

Régie municipale

Des collectivités vont plus loin en mettant en place des régies municipales. La Ville de Mouans Sartoux, qui fournit des repas 100 % bio à ses enfants depuis 2012, a été l’initiatrice de la création du statut juridique de la régie municipale. Depuis 2019, Vannes dispose de sa propre exploitation maraîchère : « On souhaitait passer à une alimentation bio pour les crèches et on ne trouvait pas de maraîchers qui puissent répondre à notre demande », justifie Gérard Thépaut, maire-adjoint de Vannes. En cause, des volumes trop importants pour des petits maraîchers.

La loi Egalim rend obligatoire la présence de 50 % de produits bio, de qualité et durables dans la restauration collective. (©  Jérôme Chabanne)

Un ancien terrain de 1,5 hectare destiné aux fleurs de la ville a été transformé pour fournir des légumes aux crèches grâce au travail d’un maraîcher salarié. « C’est plus sécurisant d’avoir un salaire fixe et des horaires, mais ça reste un travail de tous les jours », glisse Ronan Betin, qui continue d’être « assez libre de ses choix en discutant directement avec les cuisinières ».

« Quand il faut ramasser les fraises, les agents municipaux viennent suppléer le maraîcher et le remplacent pendant ses vacances », ajoute Gérard Thépaut.

Substitution

En reprenant toute la production en main, les collectivités peuvent-elles supplanter les acteurs du monde agricole ? « Au début, on s’est dit qu’on allait acheter du foncier et installer nous-mêmes des fermes, raconte Eve Gabrielle Demange, également conseillère départementale de la Gironde. On a fait un premier test et on s’est rendu compte que c’était un projet très lourd. »

Finalement, la collectivité a changé de stratégie et développé un réseau des fermes de Gironde en agroécologie et circuits courts pour accompagner les producteurs. « Notre place, c’est plutôt de créer du lien entre les fermes et les collectivités et de les faire connaître par les habitants », estime désormais l’élue.

Le directeur de la Ceinture Verte Normandie, Éric Ducoudray tempère : « Nous sommes un modèle parmi d’autres » qui répond « à une demande spécifique ». Au Havre, l’objectif serait d’installer une douzaine de fermes d’ici à sept ans. « C’est 20 à 30 hectares, soit un quart d’une exploitation agricole normale sur notre territoire. »

Concernant les craintes relatives à la financiarisation des terres agricoles, la plupart des sociétés publiques s’engageant sur le terrain du foncier ne génèrent pas de rendement.

Parfois, l’arrivée d’un nouvel acteur public, dans un monde agricole déjà complexe, peut provoquer quelques réticences. « Les chambres d’agriculture n’ont pas forcément la même vision que nous de l’agriculture d’avenir, mais ça n’empêche pas de travailler ensemble », assure Eve Gabrielle Demange.

Au Loroux-Bottereau, près de Nantes, si l’agriculteur ne nie pas les bénéfices de louer l’exploitation à la municipalité, il a dû faire face à diverses difficultés lors de son installation. Foncier, bail, captage de l’eau… Face à des « zones de frottement » qui existent, Florent Yann Lardic, directeur de Terres en ville, revendique d’intégrer le monde agricole aux questionnements des collectivités.

L’association, créée en 2000, fédère des villes ambitieuses dans leurs politiques agroalimentaires. Avec une quarantaine d’adhérents, elle dispose d’une coprésidence : une chambre d’agriculture et une collectivité. Développer cette « pratique du dialogue », constitue, selon Terres en ville, la solution pour ne pas « être tenté de se substituer l’un à l’autre ».