Pourquoi l’Alsace est-elle plus exposée aux polluants ?
« Elle correspond à un fossé d’effondrement, « coincé » entre les deux parties du massif vosgien, d’où des niveaux de pollution atmosphérique élevés. Nous sommes sur une zone frontalière avec des polluants en provenance des pays voisins, alors que l’activité agricole, ici, est déjà très importante. La nappe phréatique alimente les résurgences et donc toute l’eau du robinet. Une étude récente démontre que les fleuves d’Europe sont chargés de microplastiques, auxquels n’échappe pas le Rhin qui nous longe. Ajoutez à cela une forte densité de population. La fréquence des maladies chroniques, inflammatoires, des cancers est nettement plus importante dans notre région. Ce que n’explique pas la nourriture traditionnellement riche, plus récemment la malbouffe, ou des facteurs génétiques. »
Que sont les exposomes auxquels vous faites référence ?
« Ce sont tous les éléments auxquels nous sommes exposés et qui influencent notre santé : polluants de l’air ou de l’eau, substances chimiques dans notre alimentation, conservateurs, additifs, matériaux d’emballage… Je travaille sur le sujet avec Dimitri Heintz, ingénieur de recherche à l’IPCH (1). Notre objectif est de contribuer à des pistes de progrès en santé publique. Les études de l’IPCH montrent notamment que les molécules médicamenteuses sont un gros problème. Des suivis ont été menés sur le cerveau d’abeilles qui étaient désorientées pour retrouver leurs ruches. Les chercheurs y ont décelé un antidouleur, le tramadol, et des œstrogènes, issues de pilules contraceptives. En cause, un parcours désormais connu : présence dans l’urine humaine, passage dans les stations d’épuration, puis dans leurs boues, épandage des boues dans les parcelles agricoles, contamination des plantes, du pollen. »
Pourquoi ces molécules sont-elles aussi persistantes ?
« Elles sont fabriquées pour être résistantes dans le corps humain, dans le sang et le tube digestif afin d’être efficaces. Cette qualité devient un gros défaut lorsqu’elles passent dans l’urine. Une des solutions serait de ne plus utiliser ces boues de station d’épuration, mais on ne sait pas où les mettre ! Et c’est comme pour la nature industrielle, il y a vingt ans, on n’en connaissait pas tous les méfaits… »
Quelles seraient les solutions ?
« Une des pistes est de développer des médicaments biodégradables dont les composants se désagrègent naturellement au bout d’un certain temps. Un autre axe est de trouver des méthodes d’épuration des eaux usées sans impact sur l’environnement. Les bactéries qui agissent sur la décomposition ont là un grand rôle à jouer, comme les haies et leurs vertus épuratrices sur les eaux de ruissellement. Les traitements en station d’épuration par filtres végétaux sont une solution d’avenir. Les agriculteurs sont à même de développer ces techniques dans le cadre d’une agroforesterie qu’on pourrait appeler « sanitaire ». Et, bien sûr, il nous faudrait être en meilleure santé, manger sainement, pour consommer moins de médicaments. »
Êtes-vous pour une écologie citoyenne, moins politique ?
« Je suis petit-fils d’agriculteurs, je connais bien le milieu rural. Je préfère discuter avec un agriculteur qui connaît parfaitement son environnement, plutôt qu’avec ceux qui nous font culpabiliser. Nous, scientifiques, universitaires, voulons apporter un message de soutien au monde agricole. Nous avons en commun de travailler avec du vivant, d’en connaître les aléas. Les agriculteurs sont des interlocuteurs de premier plan sur l’écologie. Mais ils doivent être aidés, y compris financièrement, pour accomplir leurs tâches de « gardiens de la nature ». »
(1) Institut pluridisciplinaire Hubert Curien, sous la tutelle du CNRS et de l’Université de Strasbourg.