C’est une étude qui fait du bien. À l’heure où certains veulent opposer agriculture et environnement, une étude menée auprès de 7 711 agriculteurs remet de la nuance dans un débat polarisé. Un constat : les agriculteurs sont prêts et motivés à s’engager dans la transition agroécologique, dès lors que des moyens financiers y seront associés.
Cette étude est la « grande consultation des agriculteurs », publiée le jeudi 12 décembre 2024 et lancée dans le cadre du projet sur l'agriculture de l’association The Shift Project. Créée à l’initiative d’experts dont Jean-Marc Jancovici, cette étude vise à rendre quatre rapports (principal, technologique, emploi et formation, alimentation) sur l’évolution du secteur agricole pour « une agriculture à bas carbone, résiliente et prospère » dans un objectif d’adaptation au changement climatique.
Ici, pas de place aux discours électriques des chaînes d’info en continu et à la recherche de coupables, mais à une enquête de six mois. Cette dernière comprend une étude quantitative (le questionnaire en ligne) et un volet qualitatif auprès de 70 agriculteurs et agricultrices représentatifs (entretiens par téléphone ou sur place).
« Notre échantillon [de l’étude quantitative, NDLR] est proche » de la réalité basé sur le recensement agricole de 2020, avec « quelques écarts » : une moyenne d’âge plus jeune et des sondés un peu plus diplômés que la moyenne du recensement, nuance Kate Blin, cheffe de projet de l’étude.
Le dérèglement du climat bien identifié
« Les agriculteurs voient l’effet du changement climatique sur leur exploitation », affirme Anne-Sophie Tricaud, copilote de l’étude. Cela préoccupe près de neuf agriculteurs sur dix, et plus de deux sur trois s’en inquiètent beaucoup. Les maladies animales, le manque d’eau et le coût des énergies fossiles viennent ensuite : plus de sept agriculteurs sur dix les citent parmi leurs principales inquiétudes.
Pour enclencher la transition agroécologique, The Shift Project constate un « fort potentiel d’accélération si les conditions sont réunies ». Dans le cas où elles seraient financièrement rentables et où les agriculteurs seraient accompagnés techniquement, les pratiques les plus plébiscitées par les agriculteurs sont :
- D’abord le recours aux engrais organiques et la diminution des produits phytos (neuf sur dix répondants) ;
- Puis la culture de variétés plus résistantes, la baisse des engrais de synthèse, et la culture de légumineuses (plus de huit sur dix).
Sur l’élevage, neuf sondés sur dix plébiscitent l’autonomie alimentaire, et six sur dix l’intégration de l’élevage aux cultures. « L’intérêt pour la polyculture-élevage ressort de nombreuses interviews d’agriculteurs », note le rapport, mais ces projets sont souvent freinés par « manque de disponibilité ». La diminution du cheptel est rejetée par plus de la moitié des agriculteurs.
Des agriculteurs engagés
Sept agriculteurs répondant sur dix sont déjà engagés dans une démarche environnementale ou de qualité. Pourquoi ? Majoritairement pour des raisons de conviction personnelles (68 %) devant la pertinence économique et l’adaptation en prévision des risques futurs. Seuls 7 % des agriculteurs ne souhaitent pas s’engager dans la transition environnementale.
Quels freins à la transition ?
Huit agriculteurs sur dix citent les difficultés financières comme freins à la mise en œuvre de nouvelles pratiques et plus de la moitié des répondants mettent ce coût en tête des obstacles. Viennent ensuite :
- Le risque financier pour la moitié des répondants ;
- La lourdeur administrative (45 %) ;
- Le manque de temps (37 %) ;
- Le manque de main-d’œuvre disponible (35 %) ;
- La concurrence avec des productions non soumises aux mêmes contraintes (34 %) ;
- La volatilité des coûts de la matière première (22 %).
Parmi les mesures plébiscitées pour accélérer la transition, la rémunération pour services environnementaux et une politique sécurisant des débouchés et des prix rentables pour l’exploitation, convainquent plus de la moitié des agriculteurs. Ils sont aussi plus d’un tiers à citer une meilleure répartition de la valeur et des mécanismes financiers d’accompagnement à la prise de risques liés aux changements de pratiques.
Là encore, « 87 % des agriculteurs posent une condition financière pour s’engager ou accélérer leur transition », observe le rapport. Plus généralement, les professionnels interrogés sont largement favorables (plus de sept sur dix) à de nouvelles politiques publiques comme la protection des agriculteurs face aux effets de la concurrence internationale, la réorientation des aides Pac sur les pratiques agricoles durables et l’adaptation au niveau local.
Manque de représentation dans le débat public
Pourquoi cette différence entre cette étude et le discours médiatique ? À cause du sentiment très majoritaire des agriculteurs de ne pas se sentir représenté dans le débat public, avance The Shift Project. Les agriculteurs regrettent :
- Le manque de visibilité de la diversité des agricultures ;
- La difficulté des non-syndiqués à se faire entendre ;
- Une image négative de la profession dans les médias ;
- La méconnaissance du public de la complexité du métier.
Plus de la moitié des répondants déclarent ne pas adhérer à un syndicat, mais 87 % d’entre eux n’ont pas l’impression d’être bien représentés. L’objectif de l’association The Shift Project est d’encourager tous les agriculteurs à partager leur avis, cette étude leur a peut-être permis pour une fois.