C’est un rapport confidentiel. Cinquante-cinq pages d’analyse rédigées par les services ministériels d’inspection sur les contrôles administratifs dans le monde agricole. Cinquante-cinq pages pour expliquer, préciser, décortiquer dans quelle mesure les agriculteurs et les syndicats ont dans le viseur les contrôles et quelles solutions pourraient être portées pour rétablir la confiance entre les deux corps de métier.
Le rapport, obtenu par nos confrères de Contexte, a été diligenté par une mission qui regroupe quatre corps d’inspection ministériels (agriculture, intérieur, environnement, justice). Initiée en février 2024, elle a interviewé plus de 400 personnes issues d’organismes de contrôle, de syndicats, d’administrations et de juridictions. Des questionnaires ont également été envoyés aux préfets, aux DDT et aux juridictions pour recueillir un panel plus large de témoignages.
10 % des exploitations contrôlées dans l’année
Au terme de six mois de travail, « la mission constate un écart important entre le ressenti des exploitants agricoles d’une pression de contrôle élevée assortie d’une sévérité des sanctions et des peines en découlant, et la réalité des contrôles réalisés dans les exploitations agricoles et des sanctions et peines effectivement prononcées. »
Même si les exploitations peuvent faire l’objet d’un contrôle autre qu’administratif (judiciaire, ou dans le cadre de démarches de qualité), ce type de contrôle reste majoritaire. Pourtant, peu d’agriculteurs se font contrôler durant une année.
L’OFB observe « l’écart entre la réalité des contrôles et le ressenti de la profession agricole » (27/10/2024)
En effet, sur les 389 800 exploitations, il semblerait que 10 % fassent l’objet d’un contrôle une fois par an et seul 1 % subit deux contrôles administratifs ou plus dans l’année, d’après des données de la DDT. Un chiffre en deçà du ressenti des agriculteurs et de leurs représentants qui appellent à réduire la pression.
« Sentiment d'être placé sous surveillance »
Actuellement, une douzaine d’organismes d’État (1) réalisent des contrôles dans les exploitations agricoles, sur des sujets aussi variés que l’emploi, l’atteinte à l’environnement ou les aides Pac.
La mission cite le sentiment des agriculteurs d’être « plus sévèrement punis que d’autres justiciables », et des appréhensions sur les modalités de déroulement des contrôles, plus que sur le « décompte de ceux-ci ».
Les contrôles grâce aux images par satellite donnent un « sentiment d’être placés sous surveillance », même s’il a été assorti d’un droit à l’erreur depuis sa mise en place. Tous types de contrôles étant désormais notifiés aux agriculteurs concernés, « le ressenti de la pression de contrôle s’en trouve accentué », affirme la mission.
« La dématérialisation des procédures couplée à une réduction des effectifs des services déconcentrées de l’État a contribué à déshumaniser les contrôles et à créer plus de distances entre contrôleurs et contrôlés », constate les services d’inspection. Lors de contrôles physiques, la posture de certains agents « donne le sentiment aux exploitants que le dispositif de contrôle est fait pour les piéger et que la sanction est recherchée au bout du processus et non la mise en conformité. »
Encourager la pédagogie
Ce sentiment de malaise apparaît aussi face à la « difficile maîtrise d’un cadre juridique complexe et en perpétuelle évolution », qui crée un « sentiment d’insécurité lorsqu’un contrôle est réalisé ».
Le sentiment d’insécurité pourrait être amoindri par plusieurs mesures pédagogiques et de communication. La mission propose ainsi d’améliorer l’information des exploitants sur l’évolution de la réglementation, via le réseau consulaire des chambres d’agriculture, d’instituer des formations continues, ou de généraliser des réunions d’information annuelles.
Des contrôles à blanc au début d’une nouvelle réglementation pourraient être mis en place, tout comme des prises de contact par téléphone en amont du contrôle. La mission suggère ensuite d’allonger les délais de préavis de contrôles et de proposer des visites pédagogiques sur une réglementation avec les agriculteurs.
S’adapter au local
Plus généralement, règne le sentiment que les normes sont « élaborées trop loin du terrain » avec la démultiplication des dérogations. Les effets du changement climatique obligent aussi les agriculteurs à s’adapter. Cette réalité du terrain irait de pair avec le sentiment d’une « insuffisante prise en compte par les contrôleurs des conditions dans lesquelles avaient pu être conduites les cultures ».
Pour s’adapter, la mission recommande d’encourager une logique de subsidiarité en faisant appel aux institutions locales pour s’adapter aux réalités, parfois différenciées du terrain. Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, a ainsi donné un rôle prédominant aux préfets lors des annonces relatives au contrôle unique en octobre dernier. « Les relations qu’entretient la profession agricole avec les préfets et leurs services demeurent à la fois confiants, constantes et de qualité », note la mission.
Pour mieux appréhender la saisonnalité, une formation (déjà prévue pour l’OFB) pourrait être proposée pour les contrôleurs, plaide la mission. Mais cette dernière observe que les services de contrôles connaissent « de graves difficultés », tant sur l’importance de contrats à durée déterminée, de statut, et d’effectifs des contrôleurs. Ces difficultés peuvent entraver, in fine, le bon travail des agents.
Renforcer les moyens des agents
Si un « très faible nombre d’incriminations pénales » est retenu à la fin des procédures, l’inscription des peines encourues, bien plus élevées que celles appliquées peuvent être une source de malaise pour les agriculteurs contrôlés.
Si le lieu d’audition souvent en gendarmerie est « usuel » en matière de procédure judiciaire, (car il permet notamment la confidentialité), il est « une cause d’insatisfaction des agriculteurs ». « L’audition sur site pourrait être privilégiée », note le rapport. Cela impliquerait d’équiper les agents du matériel adéquat : ordinateur portable, imprimante portable…. Un équipement qui représente aussi un coût.
Souvent, la procédure d’audition des personnes contrôlées peut s’avérer « lourde », constate la mission : « Les auditions dépassant trois heures sont, semble-t-il, fréquentes, certaines pouvant aller jusqu’à 6 ou 7 heures. » Une durée que les services d’inspection proposent d’adapter en fonction de la gravité des faits.
De même, les agents de l’OFB indiqueraient « de manière systématique sur les procès-verbaux d’audition le détail des peines encourues alors que seule la nature des faits doit être mentionnée ». Une inscription qui pourrait intimider les agriculteurs et serait, selon ceux entendus par la mission, une « forte source de tension ».
Revoir l’échelle des peines
Au niveau administratif, la mission propose d’adapter les peines, notamment pénales en proposant des alternatives pédagogiques, et d’élargir le droit à l’erreur pour les atteintes environnementales. En ce qui concerne les aides Pac, la mission propose de permettre le paiement de l’avance de ces aides en cas de contrôle, alors qu’elles sont suspendues tant que le contrôle n’est pas finalisé. Les contrôles liés à la Pac, sont parfois perçus comme un « risque sur le montant du financement qui, pour certain, est essentiel à l’équilibre de l’exploitation ».
Parmi ces nombreuses recommandations, certaines ont été reprises par la ministre de l’Agriculture à la fin de novembre, comme le paiement de l’acompte des aides Pac, même en cas de contrôle. Reste à savoir si les autres propositions parviendront à se frayer un chemin auprès d’un gouvernement déstabilisé par deux motions de censure.
(1) ASP, AE, DDPP, DDTM, DDETS, DDFIP, DRDDI, DRAAF, DREAL, FAM, IFCE, OFB.