Le 13 mars 2022, le gouvernement argentin annonçait la suspension de ses exportations de farine et d’huile de soja. Quinze jours plus tard, qu’en est-il de la situation en Argentine ?

 

Dans la nuit du 13 au 14 mars dernier, le gouvernement argentin a suspendu les exportations de tourteaux et d’huile de soja, dont le pays est le premier exportateur mondial. Un communiqué du sous-secrétariat aux Marchés agricoles, qui dépend du ministère de l’Agriculture, indiquait la suspension « jusqu’à nouvel ordre » des enregistrements des ventes à l’étranger de ces deux produits.

 

Cette décision s’inscrit dans le contexte de la hausse des prix mondiaux des matières premières, qui a été encore aggravée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Pour le marché, il s’agit davantage d’un coup fiscal à court terme pour augmenter les taxes, sans réel impact international.

 

Du côté français, l’origine argentine représentait quasi 17 % des importations de tourteau de soja sur la campagne de 2020-2021, avec 0,39 Mt importé, selon les chiffres de la Commission européenne.

Une augmentation des taxes

Le 21 mars 2022, le gouvernement argentin a effectivement levé cette suspension après avoir augmenté les taxes à l’exportation (de 31 à 33 %) deux jours plus tôt.

 

En réalité, Buenos Aires s’inquiète de l’impact de la situation sur les prix alimentaires intérieurs, dont la hausse influence le taux d’inflation déjà élevé du pays (50,9 % en 2021, l’un des plus forts du monde).

 

En 2021, la farine de soja était le premier produit exporté par l’Argentine (14,2 %) et l’huile de soja le troisième (6,9 %). Le secteur du soja dans son ensemble représentait 30 % des exportations du pays, lui apportant 9 milliards de dollars de taxes à l’exportation.

 

Une hausse de 2 points permettrait donc une rentrée fiscale additionnelle de plus de 400 millions de dollars, selon les estimations. Cela est loin d’être négligeable pour un gouvernement qui est tenu, notamment par son accord sur sa dette avec le Fonds monétaire international (FMI), de réduire drastiquement son déficit budgétaire.

 

Pour le marché, la fermeture des exportations visait « à empêcher les entreprises de s’enregistrer avant le changement fiscal », pour échapper à la hausse, a expliqué à l’AFP l’analyste spécialisé en marchés agroalimentaires Dante Romano. Selon lui, cette fermeture a « davantage un aspect fiscal, de collecte pour l’Argentine, que de limitation des exportations ».

 

Il a d’ailleurs rappelé qu’« en Argentine il n’y a pas de limite à la quantité exportable de soja, contrairement à d’autres produits destinés à la consommation humaine, tels le blé, le maïs et le bœuf ». De plus, les formalités d’enregistrement se réalisant généralement avec un ou deux mois d’avance, les embarquements de soja continueront normalement.

Amortir l’éventuelle augmentation des prix du blé

Pour autant, la suspension des exportations avait ulcéré le secteur agroalimentaire, à l’image de la Chambre d’industrie oléagineuse, qui avait dénoncé d’avance une hausse des taxes « totalement contraire à l’intérêt exportateur de l’Argentine, qui en plus d’être illégale, va impacter l’entrée de devises et l’emploi agroalimentaire ».

 

Pedro Peretti, ancien dirigeant agricole de petits et moyens producteurs, estimait que cette hausse des taxes serait très utile si elle venait alimenter un fonds mis en place par le gouvernement pour amortir, sur le marché argentin, l’éventuelle augmentation mondiale des cours du blé.

 

« Si c’est pour que les gens aient à manger, ça a du sens. Si c’est pour réduire le déficit budgétaire ça n’a pas de sens […]. Cela doit garantir le prix du pain. Pas subventionner le FMI ou le Trésor », expliquait Pedro Peretti.

 

Interrogé à ce sujet, Théo Conscience, journaliste correspondant à Buenos Aires, explique que l’objectif du gouvernement est d’utiliser ces revenus supplémentaires pour stabiliser le prix du blé sur le marché domestique, dans un contexte d’inflation galopante aggravée par la situation internationale.

 

En d’autres termes, le but est d’éviter l’impact d’une forte hausse des prix du blé sur le marché intérieur, qui serait liée à l’invasion de l’Ukraine. De plus, le gouvernement a laissé entendre que cette augmentation des taxes à l’exportation est voué à rester en place tant que la guerre en Ukraine continuerait.