À environ 150 kilomètres au nord-ouest de Marioupol, dans la région de Zaporijia, Edward Herman exploite 600 hectares de blé et de tournesol, ainsi que 130 hectares de vergers, dont 75 hectares de cerisiers. L’agriculteur a d’abord été confronté à des attaques de l’armée russe contre l’Ukraine les 5 et 6 mars 2022. La zone est ensuite redevenue « relativement calme » comparativement à certaines régions, relatait Edward à La France Agricole ce 17 mars… jusqu’à ce qu’au moment où de nouvelles explosions ont lieu lieu dans la nuit du 21 au 22 mars 2022.

 

La ferme de Edward Herman est située dans le sud est de l’Ukraine. © Google Maps
La ferme de Edward Herman est située dans le sud est de l’Ukraine. © Google Maps

Une trésorerie mise à mal

Les risques qui planent sur la campagne de semis de printemps et sur la réalisation des travaux, tels que la fertilisation ou les traitements, font craindre de grosses pertes de production. Ainsi, pour se prémunir d’une crise alimentaire, le gouvernement ukrainien a drastiquement restreint les exportations de certaines productions agricoles : « Les plus grands importateurs parlent d’un arrêt de 95 % des exportations comme des importations », explique Edward Herman.

 

Mais certains producteurs stockent leurs récoltes plusieurs mois après les moissons afin de les vendre au meilleur prix. C’est le cas d’Edward, qui se trouve aujourd’hui avec 2 000 tonnes de blé et de tournesol destinées à l’exportation, qu’il ne peut pas écouler. L’argent habituellement dégagé par la vente de ses grains lui permet de financer l’achat d’intrants.

 

Sa trésorerie est donc à la peine : « 90 % du fonds de roulement de l’exploitation proviennent de ces productions que nous ne pouvons pas vendre pour le moment, alors que les salaires des employés continuent d’être payés en temps et en heure », détaille-t-il.

 

En parallèle, les exploitations font face à la hausse spectaculaire des coûts de certains intrants. Le prix du fuel a par exemple augmenté de 200 %. L’approvisionnement s’avère compliqué. « Nous avons encore quelques stocks d’intrants de la campagne précédente, mais pas suffisamment pour couvrir les besoins de la nouvelle campagne », s’inquiète-t-il.

 

De leur côté, les fournisseurs réclament une avance de 100 % et n’acceptent plus les paiements différés. Mais les problèmes de logistique rendent les livraisons longues et complexes. Certains producteurs ayant passé commande n’ont ainsi toujours rien reçu, rapporte-t-il.

Des pertes de production attendues

En plus des difficultés d’approvisionnement en intrants, l’accès aux parcelles n’est pas toujours garanti. « Du fait de mines présentes dans les champs et vergers, il nous est impossible d’accéder à certains endroits. Nous attendons que des professionnels viennent les retirer. Nous espérons qu’ils pourront intervenir rapidement », confie Edward. Il n’a, de fait, pas pu assurer l’intégralité des traitements prévus. « Nous nous attendons [donc] à de grosses pertes de production. »

 

Les achats de semences de tournesol posent également question. « C’est le plus important. Si la campagne démarre, nous mettrons tout en œuvre pour s’approvisionner », poursuit-il.

 

Concernant les fruits, « notre principal débouché est le marché belarus, mais celui-ci nous est actuellement fermé. Même si nous arrivons à suivre l’itinéraire cultural et à ramasser les cerises, celles-ci pourraient être perdues. Nous ne pouvons pas les stocker, c’est un produit trop fragile, explique-t-il. Les prunes [cultivées sur 22 hectares] sont également concernées. Mais leur stockage est envisageable jusqu’à octobre – novembre, laissant plus de souplesse.

 

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La main-d’œuvre pourrait manquer

Pour l’heure, la main-d’œuvre saisonnière pose peu de problèmes à Edward : il n’y a pas encore assez de travail pour les 150 saisonniers habituellement employés sur sa ferme aux périodes de récolte. « Mais ça pourrait être un problème dans le futur », estime-t-il.

Une partie des saisonniers travaillent à la station de conditionnement. (photo d’archive) © Yevheniia Nikitiuk
Une partie des saisonniers travaillent à la station de conditionnement. (photo d’archive) © Yevheniia Nikitiuk

 

Les 25 employés permanents, en revanche, sont contraints de rester chez eux. « Ils ont travaillé jusqu’au moment où c’est devenu trop dangereux. Le gouvernement permet aux travailleurs agricoles de rester en poste, mais toute l’équipe vit à Orikhiv [ville la plus proche de l’exploitation] et la route est assez dangereuse », relate-t-il.

Soutien à l’armée ukrainienne

Proche de grandes villes comme Kiev, des entrepôts de stockage et les produits qu’ils abritaient ont été détruits par l’armée russe. « Je connais personnellement des personnes qui ont perdu 300 000 euros de produits », déplore-t-il.

 

 

 

« Notre société a activement soutenu l’armée ukrainienne au début de la guerre. Maintenant, nous sommes principalement engagés dans l’aide humanitaire », ajoute Edward, qui souhaite rester discret jusqu’à la fin de la guerre sur certaines de leurs actions.

Le gouvernement lève un programme d’urgence

Le gouvernement a esquissé de premiers plans d’urgence pour la filière agricole. « Il a commencé un programme de crédit. Jusqu’à 50 millions de Hryvnia (environ 1,5 million d’euros) à 0 %, qu’il garantit à 80 %. Le détail de ces aides reste encore à affiner », rapporte Edward.

 

La chaîne de distribution nationale fait quant à elle l’objet de « multiples déséquilibres, notamment causés par les migrations internes. Les coûts de production sont hauts, mais les denrées produites sur le sol ukrainien saturent le marché national qui ne peut absorber les quantités produites, habituellement exportées. L’un dans l’autre, les prix en magasins de ces produits restent à des niveaux d’avant-guerre pour le moment, mais le pouvoir d’achat des ménages a nettement diminué », explique-t-il.

 

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