L’agriculture pourrait-elle reprendre une plus grande place dans l’emploi total en France ? Ce serait bien possible, selon des projections compilées par deux organismes de prospective et rendues publiques le 22 mai 2023. D’après un scénario de transition écologique, le secteur agricole pourrait gagner neuf mille emplois en 2030, soit 2 % de plus, par rapport à un scénario où le pays ne s’engage pas dans cette transition.

Cette étude est publiée par deux organismes chargés d’éclairer les politiques publiques de long terme : France Stratégie, organisme d’expertises économiques indépendant mais placé auprès de la Première ministre, et la Dares, le service de la statistique du ministère du Travail. Ce travail s’insère dans une série de rapports qui projettent les effets de la stratégie pour atteindre la neutralité en carbone de la France en 2050 afin d’être compatible avec les accords de Paris.

Secteur clé de la transition écologique

L’agriculture est déjà identifiée comme un des quatre secteurs clés de la transition écologique, aux côtés du transport, du bâtiment et de l’industrie, parce qu’ils sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Toutefois, elle n’est pas un secteur qui emploie beaucoup de personnes.

La croissance de l’emploi est liée à l’agriculture biologique, nécessaire à la réduction de l’empreinte en carbone et plus intensive en emplois.

La croissance de l’emploi pressentie dans ce rapport résulte surtout de l’agriculture biologique, nécessaire à la transition écologique et plus intensive en emplois. Cet effet avait déjà été observé en 2016 en France par deux chercheurs d’Agreste qui avaient comparé l’emploi dans des exploitations avant et après leur conversion. Plusieurs raisons expliquent un tel comportement : les pratiques de fertilisation et de protection des cultures qui sont plus gourmandes en travail que les méthodes chimiques, et la création d’ateliers de transformation ou de vente directe qui accompagnent souvent les conversions.

Chiffres variables

Toutefois, les chiffres précis ne font pas l’objet d’un consensus. Une précédente étude de France Stratégie sortie en mars 2022, Métiers 2030, envisageait un léger ralentissement de la perte d’emploi agricole en 2030 ou 2050 du fait de l’agriculture biologique et de l’entretien de la forêt et de la biomasse. Mais le cabinet The Shift Project, présidé par Jean-Marc Jancovici, est beaucoup plus optimiste : il envisage 500 000 emplois de plus en 2050 pour des raisons similaires mais en y ajoutant une forte relocalisation des cultures et des industries d’approvisionnement de l’agriculture.

On pourrait s’étonner de la grande confiance mise dans la transition des consommateurs vers l’agriculture biologique, au regard de la crise actuelle du secteur. C’est pourquoi il faut préciser que les scénarios envisagés prennent en compte un choc d’investissement dans les secteurs à changer et un accompagnement du changement de comportement des consommateurs. Deux conditions qui ne sont pas discutées à ce stade.

La structure de l’emploi agricole change

Même avec une telle augmentation, la structure de l’emploi agricole va changer au sein même du secteur. Les différentes études réunies dans ce rapport estiment que l’emploi en élevage et dans les cultures céréalières va diminuer sous l’effet d’une consommation réduite de viande. Mais d’autres travaux estiment que cette perte sera compensée par un accroissement de l’emploi dans les filières végétales. À l’intérieur des exploitations biologiques, les effets sur l’emploi ne sont pas les mêmes selon les secteurs, ayant neutralisé les autres paramètres comme les conditions géographiques (plaine ou montagne) : elle emploie plus par unité de production que l’agriculture conventionnelle, en particulier pour l’élevage bovin laitier ou la viticulture. En revanche, c’est moins net pour le maraîchage, meilleur employeur en plein air mais pas forcément sous serre.

Enfin, cette étude ne peut qu’effleurer des effets plus complexes de la transition écologique sur l’emploi agricole mais elle les signale tout de même. Par exemple, si une politique de transition bas carbone pousse les agriculteurs et les consommateurs à privilégier les circuits courts, quels seront les effets de bord sur le secteur du transport ?

Des tensions à prévoir

En revanche, d’autres effets d’une hausse de l’emploi sont discutés plus profondément. En premier, c’est l’accroissement des tensions sur l’emploi. L’agriculture n’est pas le secteur le plus tendu alors qu’il est déjà difficile de recruter. Les auteurs de l’étude distinguent deux points saillants qui peuvent freiner les candidats : la non-durabilité des emplois, du fait du caractère saisonnier de l’activité, et l’éloignement géographique des villes, principal vivier de candidats potentiels.

Ce ne sont pas forcément des compétences nouvelles qui seront recherchées mais plutôt une capacité à adapter les compétences actuelles à un nouveau cadre réglementaire.

Enfin, l’étude explore la question des compétences qui apparaîtront comme essentielles durant la transition écologique. Ce ne sont pas forcément des compétences nouvelles qui seront recherchées mais plutôt une capacité à adapter les compétences actuelles à un nouveau cadre réglementaire. La protection des cultures, par exemple, sera particulièrement touchée puisqu’il faudra maîtriser le désherbage mécanique aussi bien que le passage des herbicides. Les référentiels de formation commencent déjà à intégrer des compétences moins techniques mais essentielles pour le futur comme la capacité à travailler à plusieurs programmée dans les bac pro ou les BTS agricoles.

Des compétences complexes

Il faudra aussi assimiler des compétences très complexes qui relèvent autant de l’industrie que de l’agriculture. Par exemple, pour maîtriser la méthanisation, autre point fort de la transition écologique. Cependant, les secteurs les plus concernés par leurs émissions de gaz à effet de serre sont aussi ceux qui font le moins appel à des compétences d’autres secteurs professionnels. En 2015, seulement 10 % des agriculteurs travaillaient dans un autre secteur cinq ans auparavant alors qu’un tiers des cadres administratifs le faisaient.

Une des raisons qui expliquent cette faible mobilité interprofessionnelle réside sans doute dans la rémunération peu attractive des emplois salariés agricoles. Le salaire médian (qui divise la population en deux parts égales, ce qui n’est pas forcément équivalent à la moyenne) est le plus faible parmi ceux étudiés : à 1430 euros pour un temps complet (hors apprentis et stagiaires), il est inférieur de 33 % au salaire médian de la population générale (chiffres de l'Insee de 2017 à 2019).

La question de l’attractivité régionale dans une politique de transition bas carbone doit faire l’objet d’une prochaine étude, prévue à la mi-2023, comme France Stratégie l’avait déjà fait en janvier 2023 au sujet des tensions de recrutement.