La règle est claire. Si Julien Vernay, éleveur laitier à Chazelles-sur-Lyon (Loire), a besoin d’un conseil vétérinaire, il n’hésite pas à téléphoner au cabinet. Mais seulement entre 8 et 9 h, ou le mercredi jusqu’à midi. Pour une visite, il patiente jusqu’au jeudi. « Les vétérinaires sont mobilisables en urgence 7 j/7 et 24 h/24, rassure-t-il. Mais pour un problème courant comme une boiterie, il y a des tournées. Ma ferme se trouve sur celle du jeudi. »
Un partenariat
« En rationalisant nos déplacements, on passe moins de temps sur la route, donc beaucoup plus en élevage, explique Elisabeth Reynès, vétérinaire à Saint-Symphorien-sur-Coise (Rhône). Elle estime que 70 % de son travail est réalisé dans le cadre de ses tournées. « Cela nous offre la possibilité de faire davantage de préventif. Mais aussi de prendre le temps d’expliquer ce que l’on fait aux éleveurs. Ils sont nos partenaires ! »
Ce partenariat est formalisé par une convention qui lie, depuis quarante ans, l’association des éleveurs des monts du Lyonnais (AEML) au cabinet vétérinaire de Saint-Symphorien. Les agriculteurs bénéficient d’un suivi sanitaire complet, allant de la prévention aux urgences, en supprimant le paiement à l’acte ou à la visite. Quelque 140 exploitations adhèrent à l’AEML, dont une large majorité d’élevages laitiers. En plus d’y engager son troupeau de 60 vaches, Julien Vernay a présidé durant quatre ans l’association.
Dès leur adhésion, les éleveurs doivent suivre la formation « Éleveur infirmier » (prise en charge par le fonds Vivea). Ils y apprennent les premiers gestes de soin. « S’il faut faire une intraveineuse sur une fièvre de lait, le vétérinaire ne se déplace pas », illustre l’éleveur. « L’intérêt de la formation est aussi d’apprendre du vocabulaire clinique, complète la vétérinaire. Quand on parle le même langage, on peut prodiguer des conseils par téléphone. » D’autres formations (facultatives et financées par le Vivea) sont proposées aux éleveurs : mammites, parage, ambiance des bâtiments, diarrhées des veaux… Des groupes d’échanges de pratiques ont aussi été mis en place.
Si la formation est l’un des piliers du partenariat, l’autre est la transparence. Tous les chiffres sont présentés en assemblée générale, même la rémunération des vétérinaires. Les éleveurs s’acquittent d’une cotisation annuelle, fonction de la taille de leur cheptel (lire l’encadré page suivante). « Les vétérinaires ne vivent pas sur les médicaments », souligne Julien. La marge sur ces derniers est limitée à 15 %. « On n’a aucun conflit d’intérêts, ce qui renforce la confiance des éleveurs vis-à-vis de nos prescriptions, abonde la vétérinaire. Nos intérêts convergent : avoir le moins d’animaux malades. » La suppression du paiement à l’acte ou à la visite modifie aussi l’exercice du métier. « On n’est pas poussés à mettre le paquet sur les médicaments pour garantir un résultat immédiat, reprend-elle. Après notre visite, on sait que l’animal reste sous surveillance. L’éleveur peut nous rappeler quelques heures après, et s’il faut une seconde visite, il ne paiera toujours pas d’honoraires. »
Bilan annuel
En même temps, les praticiens réalisent davantage d’actes. « On opère sur des caillettes ou des mammites en facturant seulement le matériel : fil chirurgical, anesthésiants… Soit 30 ou 40 €. À ce prix, on n’hésite pas à tenter une opération comportant un risque d’échec. » Julien l’a vécu lorsqu’une de ses vaches a présenté un syndrome jéjunal hémorragique, qui habituellement ne s’opère pas… « C’était ça où l’euthanasie. On a tenté, et elle a été sauvée ! »
La vétérinaire apprécie aussi d’intervenir sur des situations plus saines : « Les éleveurs n’hésitent pas à appeler très tôt pour un simple conseil. Et lorsqu’on arrive, ils ont apporté les premiers soins car ils ont été formés. En cinq ans passés dans ce cabinet, j’ai vu un seul veau en hypothermie, alors que c’était 100 % des cas quand je travaillais en libéral ! » Constatant qu’aucun éleveur n’abusait du système, l’AEML a aboli le principe de bonus-malus, qui modulait les cotisations des éleveurs en fonction du nombre de visites des vétérinaires.
Chaque année, les exploitants reçoivent un bilan détaillant le nombre de visites, les actes pratiqués, les dépenses… Sur la campagne passée, Julien a eu 36 visites, surtout en tournée. Il a payé 6 600 € de frais vétérinaires, dont 3 870 € de médicaments. Soit un total de 13 €/1 000 l. « L’objectif n’est pas de payer moins cher qu’en libéral, insiste Elisabeth Reynès. Mais pour le même prix, la convention offre davantage de suivi. Et l’accent mis sur le préventif permet des économies indirectes : moins de pathologies, moins de pertes… L’idée est d’améliorer la santé économique de l’élevage, non en faisant payer moins cher, mais en étant plus efficace ! »
Bérengère Lafeuille