Tous les candidats à la présidentielle s’accordent à dire que l’agriculture est un secteur central et stratégique pour la France. Mais de là à en avoir fait un sujet incontournable de la campagne… Le pas à franchir était probablement trop grand pour les politiques qui, débordés par les ennuis judiciaires et d’autres intérêts, ont le plus souvent choisi de l’écarter de leur discours, quitte à rater les rendez-vous obligés comme le Salon international de l’agriculture.
Peu discutées, les questions agricoles n’ont ainsi pas donné lieu à des orientations claires. Restent toutefois quelques indicateurs pour tenter de départager les postulants, comme les clivages autour de l’Europe et de la bio, les mesures en matière de compétitivité, les solutions préconisées pour des prix rémunérateurs, mais aussi, pour commencer, le lien qu’entretiennent les candidats avec le secteur.
Jean Lassalle fait figure de bon premier sur ce point (et ce sera le seul), puisque le député centriste a exercé jusqu’à ses 21 ans l’activité de berger, à la suite de ses parents. Devenu maire dans les Pyrénées-Atlantiques, il a depuis quitté la profession, dont il n’en reste pas moins le plus proche. Le citadin Jean-Luc Mélenchon s’est, lui, récemment intéressé au secteur, aux côtés notamment de la Confédération paysanne et du Modef avec qui il dit entretenir de « bonnes relations ». Les tensions avec le syndicat majoritaire sont en revanche grandes, même si le leader de la France insoumise se déclare prêt au dialogue. Même opposition pour Marine Le Pen : la candidate FN déplore l’idéologie du libre-échange défendue par la FNSEA. À l’opposé, François Fillon a intégré dans son équipe plusieurs acteurs syndicaux et membres d’interprofessions pour élaborer son programme, qui reprend en grande partie les propositions du syndicat majoritaire. De son côté, Benoît Hamon avance une sensibilité particulière aux enjeux de l’agriculture du fait de ses origines rurales bretonnes. Mais ses interventions traduisent en réalité un faible argumentaire. Il a d’ailleurs eu du mal, à plusieurs reprises, à trouver un représentant pour parler en son nom de son programme agricole. Le novice Emmanuel Macron, très entouré, dit s’entretenir aujourd’hui avec tous les syndicats.
1 Quel modèle agricole pour la France ?
Le mouvement agroécologique impulsé par Stéphane le Foll n’est qu’une prémisse de la mutation globale qu’ambitionnent les candidats de gauche. Eux rêvent de la « bio pour tous ». À commencer par la restauration collective, qui devra compter d’ici cinq ans 100 % d’approvisionnements bio et locaux sous Jean-Luc Mélenchon, 50 % sous Benoît Hamon. Ce dernier instaurera aussi une TVA réduite sur la bio et une aide alimentaire « bio et locale ». Les aides publiques seront majorées (pour Benoît Hamon) ou exclusivement réservées (Jean-Luc Mélenchon) à l’agriculture écologique et paysanne. Tous deux promettent la chasse aux perturbateurs endocriniens.
Aux antipodes, François Fillon se garde de dire que « l’environnement, ça commence à bien faire » (Nicolas Sarkozy au Sia de 2010), mais estime qu’après avoir « empoché ce qu’elles voulaient », à la suite du Grenelle de 2007, les ONG environnementales abusent. Lui « respecte tous les modèles ». La transition qu’il prône – comme celle que souhaite Jacques Cheminade – est plutôt technologique : génétique, chimique, numérique… François Fillon annonce la suppression du principe de précaution, afin d’ouvrir la porte au « progrès » – concrètement aux OGM, aux gaz de schiste… Comme le candidat PS, il veut simplifier les règles environnementales de la Pac, mais à l’opposé du premier, c’est pour les assouplir.
Peu diserte sur la bio et l’agroécologie (bien que certains de ses conseillers soient très portés sur le sujet), Marine Le Pen charge l’Europe et le monde de tous les maux, dont le dumping social et environnemental : « La véritable écologie consiste à produire et consommer au plus près ». Elle ne prône pas un modèle, mais en refuse un : celui des « fermes-usines ».
Au risque de se caricaturer, Emmanuel Macron martèle qu’il y a de la place pour toutes les agricultures. Il poursuit les politiques en cours, que ce soit sur la recherche d’alternatives aux produits phyto, le soutien aux démarches volontaires ou l’introduction modérée de produits bio, écologiques ou locaux dans les cantines… Côté budget, puisque c’est là que le candidat est le plus concret, il multipliera par quatre les crédits alloués à la modernisation des exploitations et par deux ceux alloués à l’environnement (MAEC/bio). Il propose aussi de rémunérer les services environnementaux, mais avec une enveloppe limitée de 200 millions d’euros…
2 Quelle solution pour alléger les charges ?
François Fillon promet de réduire de 40 milliards d’euros les charges sociales des entreprises et de 10 milliards d’euros les charges sociales et fiscales des salariés, en augmentant de 2 % la TVA sur les produits français et importés. Pour davantage de marge, il « supprimera les normes françaises allant au-delà de celles européennes » et, face aux risques, il veut affecter à chaque entreprise agricole un compte épargne pour aléas climatiques et économiques.
Si elle est élue, Marine Le Pen appliquera le patriotisme économique aux produits agricoles français, notamment au travers de la commande publique (État et collectivités). Elle diminuera par ailleurs les charges sociales des TPE-PME, en fusionnant l’ensemble des dispositifs d’allégement dédiés, de manière dégressive. François Asselineau créera une taxe à l’importation pour protéger l’agriculture nationale.
Emmanuel Macron veut « libérer le travail » et diminuer, pour ce faire, son coût par la transformation du CICE en allégement de charges. Il prévoit 1 800 € de charges annuelles en moins pour un salarié au Smic. Son souhait est aussi de baisser l’impôt sur les sociétés à 25 % et de réviser toutes les normes inutiles. Il préconise l’accès des agriculteurs au chômage, et défend enfin un plan agricole de 5 milliards d’euros sur 5 ans pour permettre aux agriculteurs de moderniser leur exploitation. Jean-Luc Mélenchon a une autre méthode : il prône « non pas une agriculture compétitive sur le marché mondial, mais une agriculture de qualité qui produit de la valeur ajoutée ». Comment ? Avec des politiques de prix comme les quotas laitiers. Benoît Hamon veut quant à lui miser sur une agriculture plus solidaire, avec notamment l’instauration d’un revenu universel d’existence. Jean Lassalle entend alléger les normes sur les activités annexes à l’agriculture, comme l’hébergement. Jacques Cheminade prévoit d’organiser de son côté une restructuration de la dette des agriculteurs. Nicolas Dupont-Aignan supprimera, s’il arrive au pouvoir, les cotisations sociales agricoles pour les remplacer par une taxe sur la grande distribution. Philippe Poutou proposera un revenu garanti pour chaque actif agricole. Il effacera aussi les dettes faites auprès des banquiers. Et dans la même veine, Nathalie Arthaud expropriera les grands groupes capitalistiqueset les banques pour aider les agriculteurs.
3 Comment Garantir des prix rémunérateurs ?
Pour apaiser les tensions dans la filière agroalimentaire, François Fillon et Emmanuel Macron promettent de réunir l’ensemble des acteurs concernés à l’occasion d’un Grenelle – « des prix » pour l’un, « de l’alimentation » pour l’autre. Les desseins sont sensiblement les mêmes : « encourager l’organisation économique de l’agriculture » (Fillon) et « définir un partage équilibré de la valeur » (Macron). Avec Benoît Hamon, ils militent tous trois pour des organisations de producteurs plus fortes, qui pèseraient davantage dans les discussions tarifaires. Le candidat du Parti socialiste propose en outre de créer « un observatoire européen des flux, des prix et des marges, assurant le suivi, la transparence et la gestion des marchés agricoles ». Emmanuel Macron précise qu’il veut favoriser les contrats de filières avec la grande distribution. François Fillon n’exclut pas, quant à lui, de recourir à la loi pour rééquilibrer les négociations. Une option que privilégie Nicolas Dupont-Aignan. « Il n’y a que la force que comprennent les distributeurs, assure-t-il. Si on n’emploie pas de mesures coercitives, on se reverra dans cinq ans avec les mêmes discours ! » Marine Le Pen a elle aussi le « partage des marges » de la grande distribution dans son viseur. Pour elle comme pour les autres, il est plus facile de s’attaquer aux abus des enseignes qu’à ceux des industriels…
Hormi les partisans d’un Frexit, tous s’accordent par ailleurs sur la nécessité d’adapter le droit de la concurrence européen aux contraintes agricoles. Jean-Luc Mélenchon juge même une telle réforme « indispensable » pour inclure des clauses sur les prix dans les contrats et intégrer dans les appels d’offres publics des critères de localisation de la production. Reste à savoir de quelle marge de manœuvre disposera le futur chef d’État en la matière…
4 Quelle posture face au marché mondial ?
Comme le combat des prix rémunérateurs, la défense des agriculteurs français sur la scène internationale met tout le monde d’accord. C’est le degré de protectionnisme souhaité qui différencie les candidats. Au Front national, par exemple, Marine Le Pen sonne « la fin de la récréation du libre-échange dérégulé ». Concernant le marché européen et la Pac, « nous avons sur les bras un monstre administratif qui vous dit comment produire sans se soucier des débouchés, dénonce-t-elle. Vous, agriculteurs, êtes plus légitimes que les technocrates européens pour décider ». Elle vante « une Europe de la coopération » et s’oppose aux traités de libre-échange (Tafta, Ceta, Australie, Nouvelle-Zélande…). Comme Jean-Luc Mélenchon qui prêche pour « de nouvelles coopérations internationales » autour du principe de souveraineté alimentaire des États. « D’une façon générale, précise son équipe, nous sortirons des traités et nous ne signerons pas les nouveaux(Ceta notamment). Nous bloquerons également les Accords de partenariat économique (APE), accords scandaleux où l’UE a obtenu la libéralisation des marchés africains, où la paysannerie et l’industrie agroalimentaire locale vont être encore plus en compétition avec des produits à bas prix exportés d’Europe. » Même opposition chez Philippe Poutou et Nathalie Arthaud qui, sans surprise, taclent les « impérialismes dominants ».
Nicolas Dupont-Aignan entend lui aussi renoncer à « tout accord de type Tafta et Ceta ». « OK pour le libre-échange, mais avec défense des intérêts nationaux », martèle-t-il. Benoît Hamon va jusqu’à suggérer la sortie de l’agriculture de l’OMC et propose l’instauration d’une « exception agriculturelle » dans le commerce international. « Cela induit la création d’une instance mondiale de régulation, une Organisation mondiale de l’agriculture, que j’appelle de mes vœux, fondée non pas sur l’ultralibéralisme, mais sur une coopération équitable et durable », précise-t-il.
Jean Lassalle propose de son côté de « retirer à la Commission européenne la mission de représenter la France dans des traités de protection des investissements internationaux ». Dans le même élan, mais plus nuancé, François Fillon ambitionne de « faire à nouveau entendre la voix de la France en Europe » et de « ne pas être les derniers à imposer les règles à l’OMC ». Il souhaite notamment que l’euro soit reconnu comme monnaie de règlement dans les traités de libre-échange : « Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les transactions se font alors en dollars et les états-Unis imposent leur législation. C’est inadmissible. » Le Sarthois s’engage également à lever « les absurdes sanctions » contre la Russie.
C’est finalement l’ancien ministre de l’Économie qui se montre le plus ouvert au libre-échange, se faisant par exemple l’avocat du Ceta lors des débats de l’automne dernier. Selon Emmanuel Macron, « ce traité améliore objectivement les choses dans notre relation commerciale avec le Canada ». Une position qui l’oblige au grand écart idéologique lorsqu’il appelle à « une Europe qui protège ». « Oui, nous sommes pour la mondialisation, mais à armes égales », justifie-t-il. Quant au « candidat du Frexit », François Asselineau, il veut rassurer sur les conséquences commerciales d’une sortie de la France de l’UE : « Nos partenaires auront toujours envie d’acheter nos vins, fromages et foie gras ! »
Nombreux sont les électeurs n’ayant pas encore avoir fait leur choix. Pourtant, si l’offre électorale peine à convaincre, voter reste la seule façon de se faire encore entendre.