Dans un avis adopté le 11 avril 2023 en séance plénière, le Cese (Conseil économique, social et environnemental) émet 23 recommandations sur la gestion durable de l’eau en France, « pour nourrir les décisions publiques » dans le prolongement du plan eau annoncé le 30 mars 2023 par Emmanuel Macron.
Présentées par les deux rapporteurs, Pascal Guihéneuf (groupe CFDT) et Serge Le Quéau (Groupe Alternatives sociales et écologiques), au nom de la commission de l'environnement, de nombreuses recommandations concernent le secteur agricole. Voici les principales :
- Anticiper les tensions sur l’eau en mettant en place une irrigation de résilience, économe et adaptée à chaque territoire. Les rapporteurs préconisent ainsi de « réaliser une véritable transition écologique et systémique de l’agriculture, qui intègre toute la filière agri-agroalimentaire, et de mettre en place un accompagnement de tous ses acteurs ».
Retenues de substitution au cas par cas
- Objectiver le débat sur les bassines et rendre publics les volumes totaux prélevés et les stratégies d’irrigation agricole. Le Cese demande l’interdiction de « subventionner par des fonds publics tout projet de création de mégabassines, notamment celles alimentées par pompage dans la nappe phréatique ». Il approuve la mise en place au cas par cas de retenues de substitution de grande taille, après concertation et décision démocratique de l’ensemble des parties prenantes.
- Rendre effective la mise en place généralisée de projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) notamment pour les territoires non couverts par des Sage (schémas d’aménagement et de gestion des eaux), en favorisant la participation en leur sein de l’ensemble des organisations et acteurs concernés, mais aussi de citoyennes et citoyens pour associer la population.
Restauration des cours d’eau
- Respecter dans les meilleurs délais l’objectif de restauration de 25 000 km de cours d’eau fixé par les Assises de l’eau pour 2022. Cela demande « de la concertation en amont de la réalisation de projets afin que les agriculteurs riverains concernés acceptent d’adapter ou modifier leurs pratiques sur les terrains concernés ; des compensations financières lorsque les surfaces impactées entraînent une réduction significative de la productivité des terrains concernés. »
- Renforcer la recherche et le développement (publique et privée) en climatologie (notamment prévisions saisonnières), météorologie, hydrologie, connaissances des écosystèmes aquatiques.
- Disposer en temps réel d’un comptage de tous les prélèvements et avoir la connaissance permanente de l’état des nappes, y compris les nappes d’accompagnement et des réserves d’eau douce par bassin. « Pour les eaux souterraines, un accroissement du nombre de piézomètres est nécessaire », estiment les rapporteurs.
- Accélérer le processus de nécessaire sortie des pesticides en agriculture, et de renforcer les actions et les contrôles qui permettront d’atteindre les objectifs des plans Ecophyto.
Politique incitative de diminution des cheptels
- Renforcer, dans les zones vulnérables en termes de qualité des eaux, les obligations concernant les apports d’azote, les déclarations des plans d’épandage et le contrôle des ouvrages de stockage. Le Cese préconise la mise en place d’une « politique incitative de diminution des cheptels dans les zones les plus saturées en azote et les plus génératrices de marées vertes, au profit d’un modèle de polyculture-élevage dans une optique de rééquilibrage dans les zones non saturées. »
- Opter dans les plans d’actions concernant les prélèvements qualifiés de « sensibles » dans les zones de captage, pour des mesures d’interdictions d’utilisation d’intrants polluants, et prévoir, dans les plans d’actions relatifs aux autres prélèvements, une trajectoire progressive d’arrêt d’utilisation d’intrants. Dans les deux cas, le Conseil économique, social et environnemental demande que les exploitants soient accompagnés par des « aides conditionnées aux changements de pratiques et aux résultats atteints, y compris pour ceux étant déjà respectueux de la ressource ».
Les rapporteurs souhaitent accélérer la transition agroécologique pour réduire l’impact de l’agriculture sur la ressource en eau, notamment en interdisant toute mesure d’irrigation par forte chaleur et dispersion importante. Ils veulent identifier les filières agricoles et d’élevage qui doivent réduire leurs consommations d’eau pour les accompagner vers d’autres modèles. Et demandent que soient limitée « au plus vite l’utilisation de produits pesticides et engrais azotés susceptibles de contaminer les eaux ».
- Renforcer les taux et élargir l’assiette de la taxation sur les ventes d’engrais minéraux azotés et phosphatés et de pesticides, pour inciter à en réduire les usages.
Réutilisation des eaux usées
- Définir, en lien avec les acteurs agricoles, en amont du 26 juin 2023, le nouveau cadre réglementaire applicable à la réutilisation des eaux usées traitées en agriculture pour se mettre en cohérence avec le règlement européen.
- Aller vers l’utilisation agricole des eaux usées traitées en grande quantité, « en commençant par étudier les modèles économiques et les impacts de son développement (coût, localisation, variations interannuelles de population, soutien des débits d’étiage, enjeux sanitaires, coût, responsabilités). »
L’avis a reçu 98 votes pour (sur 174 inscrits et 128 votants), 13 contre et 17 abstentions. Le groupe en charge de l'agriculture, représenté par Pascal Férey, a voté en sa défaveur. « L’eau est une affaire de tous, elle mérite le respect de tous et de ceux qui l’utilisent. L’agriculture a tout à gagner sur un débat serein et apaisé. Je regrette que cela ne fût pas le cas encore une fois », a-t-il indiqué à la tribune du Cese.