Malgré le rebond du cours du pétrole à la suite de la décision des pays de l’Opep + de réduire leur production de brut, les cours des marchés céréaliers et oléagineux ont poursuivi leur déclin. Les surplus accumulés sur la campagne de 2022-2023 et les bonnes perspectives de récolte en 2024 continuent de peser sur les prix en Europe et en France.

Les prix du blé repartent à la baisse

Sur la semaine qui vient de s’écouler, le blé rendu Rouen (échéance d'avril-juin) a perdu 13 €/t, pour se fixer à 242,5 €/t au 6 avril. La baisse est tout aussi significative en dollar, avec un blé Fob Rouen qui a perdu 12 $/t, à 279 $/t. Les blés européens subissent toujours la pression des origines russes. En effet, la Russie a exporté près de 4,6 millions de tonnes de blé en mars, un niveau record, bien supérieur à celui de mars 2022 (2,1 millions de tonnes). En outre, l’Égypte vient d’acheter 600 000 tonnes de blé russe via un appel d’offres du Gasc. Cet achat a été conclu sur une base de 275 $/t Fob, ce qui montre que les exportateurs russes ont intégré le message des autorités visant à ne pas vendre trop bas pour couvrir les coûts de production des agriculteurs russes.

En attendant, les origines européennes demeurent toujours peu compétitives. Il reste à voir si ce prix potentiellement plancher pour l’origine russe perdurera ou non. Sur Euronext, l’échéance de septembre 2023 ne montre pas de décote par rapport à la récolte de 2022. Cela pourrait refléter les inquiétudes quant aux capacités d’exportations russes sur la prochaine campagne, à la suite de l’annonce de l’arrêt par Louis Dreyfus Commodities de ses opérations d’exportations en Russie à partir de juillet 2023, après celles faites par Cargill et Viterra.

La quasi-parité entre les échéances de mai 2023 et de septembre 2023 sur le Matif peut aussi s’expliquer par la pression exercée par les origines russes, mais aussi australiennes, sur les échéances rapprochées. En outre, les stocks de blé continuent de s’accumuler dans l’est de l’Union européenne, conséquence de l’arrivée des blés ukrainiens à bas prix. La Commission européenne a d’ailleurs décidé de prolonger les importations à droit zéro des céréales ukrainiennes jusqu’en juin 2024, accentuant la colère des agriculteurs de l’est de l’Union, toujours en attente de solutions.

Le risque géopolitique demeure fort sur le marché du blé. En effet, la Russie a annoncé le 7 avril 2023 qu’elle souhaitait des progrès significatifs quant aux sanctions internationales qui freinent, selon elle, ses exportations. Dans le cas contraire, le renouvellement du corridor maritime ukrainien au mois de mai pourrait être remis en cause.

Bonnes conditions pour les blés de l’Union européenne

Les signaux sur la récolte de blé en 2023 sont pour le moment globalement encourageants en termes de volumes. Les conditions de croissance des blés demeurent très bonnes en France, tandis que les pluies tant attendues sont revenues dans le sud-est de l’Europe (Bulgarie et Roumanie). Seule l’Espagne s’inquiète toujours du manque de précipitations. Elles font aussi cruellement défaut en Afrique du Nord, mais le marché ne semble pas acter à ce jour de fortes baisses de production au Maroc et en Algérie.

À l’inverse, les conditions de croissance sont toujours bonnes au Proche-Orient pour la croissance des blés d’hiver (notamment en Turquie). Aux États-Unis, les blés d’hiver ont du mal à récupérer de leurs mauvaises conditions d’implantation. Ainsi, seulement 28 % des surfaces sont jugées en bon ou excellent état par l’USDA (ministère américain de l’Agriculture). La hausse de surface devrait compenser en partie un potentiel de rendement compromis.

Les prix de l’orge chutent

L’orge rendue Rouen a baissé de 17 €/ cette semaine, pour tomber à 236,5 €/t. Si elle a évolué en sympathie du blé, la baisse des prix de l’orge est plus forte puisque son marché est actuellement suspendu aux négociations entre la Chine et l’Australie. Ces négociations pourraient aboutir à une levée des taxes de 80 % à l’importation imposée par la Chine aux orges australiennes. Cette nouvelle est de nature à faire baisser les prix des orges françaises qui se sont fortement exportées vers la Chine ces dernières années, depuis l’instauration de cette taxe. En cas de suppression, les orges françaises seraient de nouveau en concurrence avec les australiennes vers la Chine.

Le marché de l’orge subit également toujours la pression des exportations russes et australiennes. Ainsi, la Russie a exporté 260 000 tonnes d’orge en mars, contre 230 000 en février et seulement 120 000 tonnes en mars 2022. Du côté des affaires, il y a eu peu d’activité cette semaine. À noter un appel d’offres de 120 000 tonnes d’orge fourragère de la Jordanie, pour une livraison en septembre, ainsi qu’un appel d’offres de 20 000 tonnes du Japon pour la même échéance.

Sur le segment brassicole, l’orge Fob Creil de printemps (Planet, récolte de 2022) est rapportée à 285 €/t, un niveau en baisse par rapport à la mi-mars (295 €/t). La récolte de 2023 est, quant à elle, rapportée à 278 €/t. Le secteur brassicole français se retrouve en première ligne et sous la pression des discussions entre la Chine et l’Australie. Enfin, le groupe InVivo-Soufflet a annoncé vouloir racheter United Malt, ce qui en ferait de loin le plus grand groupe malteur au monde.

Tourteau de soja en baisse avec l’afflux de l’offre brésilienne sur les marchés

Les prix du tourteau de soja ont légèrement reculé cette semaine. Sur le CBOT (Bourse de Chicago), le cours a perdu 6 $/t sur le rapproché pour s’afficher à 501 $/t. Et ce malgré le rebond du cours du pétrole, les prix du complexe soja étant sous la pression de la récolte brésilienne de soja et d’une offre abondante en tourteaux de soja au Brésil. En effet, la production mondiale de soja sur la campagne en cours est toujours attendue à un niveau élevé, malgré les pertes engendrées par la sécheresse en Argentine.

Au Brésil, une production record de soja est en train d’être engrangée. Plus de 75 % des champs sont récoltés, et de très bons rendements sont confirmés dans le nord et le centre du pays. Les opérateurs s’attendent à ce que l’USDA revoit à la hausse ses prévisions de production de soja au Brésil dans son prochain rapport Wasde qui sera publié en avril. La région du Rio Grande do Sul qui avait jusqu’à présent souffert d’un temps chaud et sec, a profité à la fin de mars de bonnes précipitations, ce qui a permis d’améliorer l’humidité des sols et les conditions de culture. La récolte au Rio Grande do Sul avance désormais plus rapidement que lors des semaines passées. Au 6 avril, elle avait progressé de 10 points sur la semaine, mais reste toujours en retard par rapport à la moyenne quinquennale. Cet État devrait être le dernier à terminer sa récolte de soja. Actuellement, la capacité de stockage du Brésil s’approche de la saturation, conséquence des volumes records récoltés mais également de la réticence à vendre des producteurs, le prix du soja ayant fortement baissé ses derniers mois.

En Argentine, le prix du tourteau de soja a aussi reculé de 9 $/t sur le rapproché, pour s’établir à 507 $/t. Le gouvernement argentin a annoncé cette semaine, la mise en place d’une troisième séquence pour un taux de change préférentiel sur le soja. Cette fois-ci, le dollar soja s’échangera à 300 pesos. Ce dispositif devrait entrer en vigueur pour la période du 8 avril au 31 mai et devrait permettre de booster les ventes de soja en Argentine, les agriculteurs ayant jusqu’à présent pratiqué une forte stratégie de rétention due à la faible valeur du peso argentin face aux autres monnaies.

En parallèle, la demande du secteur animal en Chine est affectée par l’épidémie de peste porcine africaine qui se propage dans le nord du pays. Le cours à Montoir a reculé de 11 €/t sur la semaine. En France, la demande également faible pèse sur les prix. La baisse des cheptels porcins et les millions de volailles abattues à cause de la grippe aviaire ont contribué à réduire la consommation en tourteaux de soja. De plus, la forte concurrence des céréales et des autres tourteaux dans les rations animales freine la demande des fabricants d’aliments, entraînant les prix du tourteau de soja à la baisse.

Nouveau déclin du colza

Les prix du colza ont reculé à la fois sur la campagne de 2022 et sur la nouvelle. En rendu Rouen, le colza perd 5,5 €/t sur avril 2023, à 431 €/t, et diminue de 24 €/t sur juillet-septembre, à 439 €/t. Le rebond du cours de l’or noir n’a pas suffi à entraver l’effritement du cours du colza. Celui-ci découle à la fois de stocks élevés de colza dans l’Union européenne, et de bonnes conditions de développement pour les colzas de la nouvelle récolte.

À cela s’ajoutent plusieurs éléments baissiers sur le marché mondial. Les surfaces de colza se confirment en hausse en Ukraine, et les conditions climatiques de mars, plutôt pluvieuses et chaudes, ont permis un bon développement des colzas. La récolte ukrainienne pourrait une fois de plus dépasser les 3 millions de tonnes. Ces volumes importants devraient encore être exportés, en 2023-2024, en grande majorité vers l’Union européenne, par camions, trains ou barges (au départ des ports du Danube).

D’autre part, l’USDA a publié en fin de semaine dernière une estimation des intentions de semis des agriculteurs aux États-Unis. La surface de canola y est attendue en hausse pour la troisième année consécutive. La surface dans le Dakota du Nord pourrait atteindre, quant à elle, un record en 2023. Enfin, les acheteurs d’huile semblent actuellement bien couverts. Les achats ne sont pas très dynamiques, malgré des prix relativement bas.

L’huile de colza à Rotterdam a ainsi diminué de 20 €/t cette semaine, à 915 €/t. Elle reste moins chère que l’huile de palme, une situation très inhabituelle. C’est le cas depuis la mi-mars, où les prix de l’huile de colza ont fortement diminué sous l’effet d’un niveau de production élevé dans l’Union européenne, et d’une demande morose de tous les secteurs. En effet, l’inflation affecte la consommation des ménages et la demande en huiles. La consommation industrielle est également ralentie en raison de coûts de production élevés.

Enfin, la demande en FAME-10 (biodiesel produit à partir d’huile de colza), compatible avec les températures hivernales, s’effondre avec l’arrivée du printemps. Des stocks très élevés d’huile de colza pèsent sur ses prix, et la rendent attractive. Des achats d’huile de colza européenne par des opérateurs chinois ont été rapportés au début de la semaine. Ils ne sont toutefois pas suffisants pour contrecarrer le ralentissement de la consommation européenne.

À suivre : conditions météo en Europe, Amérique du Nord, et mer Noire (semis de printemps et développement des cultures d’hiver), récolte de soja et de maïs en Argentine, prix du pétrole, négociations Chine-Australie, croissance économique et inflation dans l’Union européenne et dans le monde, rythme des exportations de la Russie (blé, orge).