Dans un arrêt rendu le 7 février 2023, la Cour de justice européenne a tranché le conflit qui oppose depuis des années les anti-OGM et les partisans des nouvelles techniques génomiques. Lorsqu'on modifie le génome d'une espèce vivante sans y ajouter d'ADN étranger, cet organisme est-il soumis à la réglementation sur les OGM ? Non, a répondu Cour de justice de l'Union européenne saisie par la Confédération paysanne par l'intermédiaire du Conseil d'État.
Mutagenèse aléatoire
La technique s'appelle mutagenèse, par opposition à la transgenèse. La mutagenèse aléatoire consiste à accroître la fréquence des mutations génétiques spontanées des organismes vivants. Elle a permis de développer des variétés de semences résistantes à certains herbicides. En 2018, la justice européenne avait estimé que les organismes issus de techniques de mutagenèse utilisées avant 2001, et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, pouvaient être exemptés des règles d'autorisation, de traçabilité, d'étiquetage et de surveillance des OGM.
Hors OGM
Mais le statut de certains de ces organismes, notamment ceux issus des techniques relativement nouvelles dites "in vitro" — à partir de culture de cellules par opposition à la technique traditionnellement utilisée "in vivo" sur des plantes entières ou des graines — a suscité plusieurs interprétations. Le Conseil d'État français a statué en 2020 qu'elles devaient être soumises à la réglementation des organismes génétiquement modifiés (OGM), alors qu'une trentaine d'organisations des secteurs agricole et agroalimentaire réclamaient leur exclusion.
Une condition
Mardi, la Cour de justice de l'Union européenne, à qui le Conseil d'État avait fait une demande de précision, a finalement estimé que ces organismes modifiés par mutagenèse "in vitro" étaient exclus de la réglementation européenne sur les OGM. Son rapporteur général avait déjà donné un avis en ce sens. La Cour de justice européenne fixe toutefois une condition. Ces organismes "sont exclus du champ d'application" de la directive européenne s'ils sont issus "d'une technique ou méthode de mutagenèse qui a été traditionnellement utilisée pour diverses applications in vivo et dont la sécurité est avérée depuis longtemps au regard de ces applications", précise-t-elle.
Les réactions
"Notre interprétation, c'est que la Cour de justice ouvre un boulevard énorme à la fois pour la commercialisation et la culture d'OGM non réglementés, sans étiquetage ni réglementation pour savoir quelle technique a été utilisée", a regretté Guy Kastler, l'un des fondateurs de la Confédération paysanne. Il dénonce "un hold-up sur la biodiversité cultivée" en s'appuyant sur le fait que ces techniques sont brevetables. Le syndicat annonce son intention de poursuivre son combat de nouveau au Conseil d'État.
Au contraire, pour Georges Freyssinet, président de l'Association française des biotechnologies végétales (AFBV), "notre compréhension c'est que la mutagenèse, que ce soit par technique in vivo ou in vitro, bénéficie du régime d'exclusion de la législation OGM. Cela va dans le sens que l'on espérait", a-t-il déclaré.
L’UFS « reste prudente »
Au lendemain de l’annonce de la CJUE, l’Union française des semenciers (UFS), « salue cette décision rassurante » mais dit rester « prudente ». Elle attend désormais une « clarification », et précise que « le Conseil d’Etat doit maintenant statuer sur le fondement de cette décision afin de boucler définitivement le dossier ouvert en France ».
Pour Didier Nury, président de l’UFS cité dans le communiqué, « cette décision confirme la nécessité de prévoir une règlementation suffisamment claire pour éviter toute divergence d’interprétation. » Il s’agit pour lui d’une « garantie indispensable pour permettre aux semenciers de continuer à se projeter » sur le long terme.