Si le gouvernement pensait régler avant les étrennes un débat qui couve depuis des années, c’est raté, du moins en partie. Le ministère de la Santé a publié au Journal officiel du 31 décembre 2021 un arrêté sur la culture de fleurs de cannabis.

 

Attendu depuis des mois, ce texte devait clarifier un sujet à l’interface de la production agricole, de l’économie, de la législation sur les stupéfiants et de la santé publique. Ce nœud gordien n’a été tranché qu’en partie.

 

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Un contexte complexe

Cet arrêté paraît dans un contexte économique et juridique complexe. D’un côté, on assiste à une profusion de nouvelles boutiques qui vendent des produits contenant du CBD, une molécule extraite du chanvre réputée pour ses effets relaxants mais non psychotropes, contrairement au THC qui, lui, est un stupéfiant prohibé. L’essentiel du CBD ainsi que du THC étant contenu dans la fleur, la législation française interdisait l’exploitation de la fleur du cannabis, réduisant la filière à la valorisation de la tige et des graines.

 

De l’autre côté, un arrêt de la Cour européenne de justice du 19 novembre 2020 (dit arrêt Kanavape) sort l’huile de CBD du registre des stupéfiants. C’est d’ailleurs depuis ce jugement que les boutiques de CBD foisonnent partout en France. La pression montait donc sur l’État pour clarifier sa réglementation afin de faire émerger une filière agricole du chanvre bien-être en France, plutôt que de vendre du CBD provenant de l’étranger.

Les nouvelles règles de l’arrêté CBD

L’arrêté du 31 décembre 2021 compte répondre à cette demande en établissant quelques règles nouvelles :

  • le taux de THC résiduel dans les variétés cultivées passe de 0,2 % à 0,3 % ;
  • les variétés autorisées sont celles inscrites au catalogue français et européen ;
  • la vente de fleur est interdite ;
  • seuls les agriculteurs actifs sont autorisés à cultiver du cannabis ;
  • seule l’extraction industrielle est autorisée ;
  • le taux de THC des produits transformés ne dépasse pas 0,3 %.

 

Le Conseil constitutionnel doit se prononcer

La date de publication de l’arrêté surprend Yann Bisiou, un universitaire spécialiste de la législation sur les stupéfiants. Il rappelle que le Conseil constitutionnel doit rendre le 7 janvier 2022 une réponse sur une question préalable de constitutionnalité en lien avec le précédent arrêté sur le cannabis.

 

Les Sages doivent dire si le ministère de la Santé a le droit de prendre une décision législative sur les stupéfiants ou si celle-ci ne relève que du Parlement. Selon leur réponse, l’arrêté de 2021 pourrait tomber à l’eau et la filière replongerait dans le flou. Or, selon Yann Bisiou, la publication de l’arrêté étant attendue depuis des mois, le gouvernement aurait pu attendre une semaine de plus pour l’édicter dans un cadre juridique plus stable.

 

D’ailleurs, pour lui, « ce texte ne règle rien et pose de nouveaux problèmes. Des recours vont sans doute être déposés. » Ce qui ne présage pas d’un contexte très limpide pour les producteurs.

 

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Une bonne nouvelle pour les industriels

Du côté des industriels de la valorisation du chanvre (Uivec), cet arrêté est plutôt qualifié de « bonne nouvelle » mais on s’inquiète de ses zones d’ombre. « Les cadres de la contractualisation ne sont pas clairs. On ne poussait pas pour ça. On n’a pas de visibilité sur les débouchés. On comprendrait qu’un agriculteur hésite à contractualiser dans ce cas. Le gouvernement a mis la charrue avant les bœufs », pointe Ludovic Rachoux, le président de l’Uivec.

Interchanvre aimerait plus de sécurisation

L’interprofession du chanvre (Interchanvre) connaît déjà la contractualisation pour les agriculteurs producteurs de chanvre textile. L’économie générale de cet arrêté lui apporte satisfaction parce qu’elle y voit une façon de développer une filière structurée en s’appuyant sur les agriculteurs déjà engagés dans le textile.

 

Toutefois, Nathalie Fichaux, déléguée générale d’Interchanvre, déplore que l’État n’aille pas assez loin dans le contrôle des parcelles de chanvre-fleur destinées au CBD : « L’arrêté ne prévoit pas de déclaration des surfaces et des variétés, considérant que la déclaration Pac suffira. Or, d’une part, la déclaration ne s’appliquera qu’à partir de 2023 et, d’autre part, elle est facultative. Nous nous inquiétons du flou du contrôle effectif pour éviter une dérive de la production vers le THC. »

Jouanny Chatoux déçu

En revanche, cet arrêté ne satisfait pas Jouanny Chatoux, agriculteur de la Creuse engagé depuis longtemps dans la culture de cannabis. Pour lui, il laisse peu de place aux agriculteurs. Les investissements inhérents à l’extraction de CBD dans la fleur étant conséquents, les producteurs ne seront pas maîtres de leurs productions ni de leurs marges.

 

Pour illustration, il prend comme exemple l’interdiction de la vente des fleurs ou des feuilles. Celle-ci va toucher les distributeurs et sans doute brusquement freiner le développement des boutiques et enlever du chiffre d’affaires au bar-tabac. Mais elle va aussi empêcher les agriculteurs de vendre leur production brute, soit pure soit en mélange dans des tisanes. « Cet arrêté place les agriculteurs français dans la même situation que leurs homologues anglais : on a autorisé la molécule de CBD, certes, mais pas le développement de circuits courts par les agriculteurs », résume Jouanny Chatoux, qui pronostique lui aussi le dépôt de recours contre ce texte.

 

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(19/08/2021)