Qui n’a jamais vécu cette situation ? « C’est le moment d’acheter ce produit », indique un technico-commercial à un agriculteur, qui lui demande en retour le prix. « Mais tu ne me fais pas confiance ? Je te dis que c’est le moment d’acheter. » Il est difficile pour l’agriculteur de ne pas se sentir floué, même si, face à lui, le technico-commercial est lassé, lui aussi, de faire valoir le coût de son conseil. L’opacité qui règne autour des prix a fini par insupporter.
Départements à l’index
50 % des agriculteurs qui viennent sur meshectares.com pour acheter leurs intrants habitent dans les cinq mêmes départements. « Ces territoires se trouvent dans une situation de monopole », explique Gaëtan Fleury, fondateur de la start-up.
« J’ai découvert un marché très organisé, verrouillé et opaque », se souvient, de son côté, David Horain quand, après vingt ans passés dans la cosmétique et le textile, il a débarqué, en juillet 2016, au poste de directeur marketing et digital chez Agriconomie. « La première chose que la boîte a proposée aux agriculteurs, c’est d’acheter des produits en ligne. Ça n’a rien de révolutionnaire mais c’est nouveau, et ça gêne les acteurs historiques. » Pour David Horain, rien ne justifie « les leviers de boucliers et les pressions que nous subissons au même titre que certains agriculteurs. On est un petit acteur qui prend une part infime de cet énorme marché. » Et le cofondateur d’Agriconomie, Paolin Pascot, de compléter : « Nous voulons la pluralité, que l’agriculteur puisse choisir, qu’il retrouve son autonomie. Notre objectif est qu’il passe 15 à 20 % de ses achats d’appro chez nous. »
Bousculés sur leur terrain, les coopératives, les négociants, les concesionnaires, etc. ne voient pas tous d’un bon œil l’arrivée de ces jeunes pousses. Des fabricants qui souhaiteraient passer aussi en direct avec les agriculteurs évoquent des pressions exercées par certains de ces acteurs traditionnels, tandis que d’autres prennent le train en marche non pas des start-ups mais du digital. « Sur 40 milliards euros d’achats annuels, il était prévu que 2 % s’effectuent en 2018 sur le web, rappelle Gaëtan Fleury. Aujourd’hui, on est sur des estimations situées entre 13 et 18 %, parce que les grands acteurs se digitalisent à leur tour. »
Quel tiers de confiance ?
« On assiste à une course au tiers de confiance : tout le monde veut se positionner comme tel, poursuit Anaël Bibard, cofondateur de Farmleap (Ceta numérique). Nous n’attendons pas cela. Avec les start-ups, ça n’est pas qu’une révolution numérique qui se produit mais une révolution d’usage sociologique, qui consiste à la reprise en main par l’agriculteur de son exploitation. » Ce qui ne signifie pas que les chambres, les coopératives ou encore les Cuma n’auront plus un rôle de conseil à jouer auprès des agriculteurs, selon lui. « L’autonomie ne veut pas dire indépendance. Un patron du Cac40 a des conseils externes. L’agriculteur continuera à se faire aider dans ses décisions, mais à partir de données qui couperont court aux tergiversations. Ses conseillers vont garder un rôle important, ils devront seulement évoluer vers plus de compétence. »
Parfois aussi, des partenariats se nouent : notamment des coopératives réfléchissent avec des acteurs de la vente à la manière d’écouler leurs invendus en ligne. Des chambres d’agriculture, comme en Vendée, se lancent dans l’incubation de start-ups.
Pour Karine Cailleaux, d’Ekylibre (logiciel de gestion), « les partenaires de l’agriculteur sont et seront toujours là. Nous n’avons pas vocation à les remplacer. Nous voulons en revanche être connectés ensemble. »