L’instabilité est de mise sur les marchés des matières premières agricoles. Les incertitudes pèsent sur la nouvelle récolte. Entre sécheresse et pluies battantes, la météo est de plus en plus hétérogène selon les bassins de production, dégradant l’état des cultures. Par ailleurs, les tensions en mer Noire et les risques que cela entraîne sur la logistique et les décisions politiques viennent alimenter les inquiétudes des opérateurs.
Retour de la volatilité
Cette semaine a été marquée par un retour de la volatilité sur les marchés des matières premières agricoles. C’est notamment le cas du blé qui a connu une accélération de +7,5 €/t sur la seule journée du vendredi 22 mars 2024. Pour cause, le deuxième exportateur de grains russes a vu ses navires bloqués par les autorités du pays pour non-conformité phytosanitaire. Si cette nouvelle a alimenté le rebond, la possibilité d’une redistribution des volumes restants de la société RIF a ensuite calmé les cours. Le blé rendu Rouen affiche tout de même une hausse de 3,5 €/t par rapport à la semaine dernière, à 191,5 €/t.
Outre-Atlantique, le rapport de l'USDA (ministère américain de l’Agriculture) du jeudi 28 mars sur les stocks trimestriels et les intentions de semis aux États-Unis a mis le maïs sous les projecteurs. Les intentions de semis de la première culture américaine sont ressorties à 90 millions d’acres, bien en dessous des attentes des analystes, entraînant un vent de hausse sur le complexe céréalier.
Autre chiffre du rapport américain, les stocks de blé américains sont révisés à 29,7 millions de tonnes, contre 28,4 millions de tonnes attendues. En effet, les exportations de blé américaines ont été mises à mal par les annulations chinoises. Les ventes à l’exportation reviennent toutefois dans les estimations des analystes avec 339 600 tonnes exportées cette semaine.
En ce qui concerne la nouvelle campagne, les conditions météorologiques continuent d’inquiéter. Entre un début de sécheresse en Russie et aux États-Unis, et l’humidité en Europe, les chiffres concernant la nouvelle récolte pourraient être revus à la baisse. C’est d’ailleurs le cas des estimations de la Commission européenne qui voit une production de blé en Europe au plus bas depuis quatre ans, à 120,8 millions de tonnes.
En effet, les pluies ont endommagé les cultures et notamment en France où seulement deux tiers des blés sont en bonnes à excellentes conditions, selon FranceAgriMer, quand l’an passé ce chiffre montait à 94 %. En revanche, les niveaux des exportations devraient rester stables, au vu des stocks de fin de campagne qui demeurent élevés.
Retard sur les semis d’orges de printemps
Si les récents achats chinois ont contribué à la fermeté de l’orge fourragère sur les dernières semaines, le soutien vient désormais de l’ensemble du complexe céréalier. C’est ainsi que l’orge fourragère rendu Rouen gagne 9,50 €/t sur les deux dernières semaines pour revenir à 179 €/t, soit près de 15 €/t de plus que le plus bas de campagne atteint au début de mars.
Spécifiquement, les inquiétudes se portent sur les conditions de culture européennes. D’ailleurs, le bulletin Mars estime le rendement de la zone unique des orges d’hiver à 5,95 t/ha, en baisse de 2 % sur un an. Mais les craintes se concentrent sur l’ouest de l’Europe. En France, la proportion d’orge d’hiver dans un bon ou excellent état tombe à 67 %, toujours loin des 93 % de l’an passé à la même date. Si quelques éclaircies ont permis d’accélérer les semis d’orges de printemps, ceux-ci restent bien en retard : 82 % des surfaces ont été semées au 25 mars, à l’heure où les précipitations sont de retour pour les 10-15 prochains jours.
Dans ce contexte, l’orge brassicole de printemps Fob Creil reprend 28 €/t en deux semaines pour monter à 295 €/t, de retour sur son niveau de décembre-janvier. La situation est similaire au Royaume-Uni, bien que la fenêtre de semis soit plus étendue. Toutefois, à la suite des pertes de surfaces en blés d’hiver, le Conseil de développement de l’agriculture et de l’horticulture (AHDB) estime une sole à 881 000 ha, soit une hausse de 29 % sur un an. Malgré ces craintes portant tant sur les cultures d’hiver que de printemps, la récolte européenne de 2024 est attendue à 53,7 millions de tonnes, contre 47,5 millions de tonnes un an plus tôt, soit une hausse de 6,5 millions de tonnes, selon la Commission européenne.
Trituration dynamique en Europe
Le marché du colza retrouve aussi de la volatilité. Après avoir touché un nouveau cours plus haut la semaine dernière, au-dessus de 450 €/t en Fob Moselle, le marché a corrigé et revient autour de 439 €/t. Le soutien est venu la semaine dernière de l’ensemble du complexe oléagineux.
La fermeté de l’huile de palme offre davantage de compétitivité aux autres huiles végétales, et notamment les huiles de colza et de tournesol. La reprise de la demande sur le marché des huiles sera à suivre, à l’heure où l’activité de trituration reste dynamique en Europe. Selon la Fediol, 1,74 million de tonnes de colza ont été triturées en février, contre 1,76 million de tonnes en janvier et 1,58 million de tonnes l’an passé à cette date.
Du côté de la graine, les flux d’importation européens restent sous surveillance. D’importants volumes de canola australien sont attendus dans les prochains mois, mais leur arrivée risque d’être plus tardive que prévu à cause du blocage de la mer Rouge.
Les regards se tourneront progressivement du côté de la nouvelle campagne. Les potentiels de production restent optimistes du côté de l’Ukraine, qui pourrait renouveler sa production record de l’an passé, au-dessus des 4 millions de tonnes. En Europe, les pluies incessantes et le manque de rayonnement depuis les semis posent question, à l’heure où la floraison débute, une période clé pour l’élaboration des rendements. Les potentiels de production sont d’ores et déjà revus en baisse. La production européenne pourrait s’approcher de 19,5 millions de tonnes, selon la Commission européenne, contre 19,8 millions de tonnes estimées précédemment et 20 millions de tonnes en 2023.
Enfin, le Canada, principal exportateur mondial, pourrait voir la sole de canola à la baisse en nouvelle campagne, à l’heure où la multiplication des usines de trituration entraîne l’augmentation de la consommation intérieure.
Bilan confortable
Malgré le rebond du complexe oléagineux la semaine dernière, la tendance baissière reste de mise sur le marché des tourteaux de soja, qui reviennent en dessous de 440 €/t en spot délivré Montoir. Il faut dire que les disponibilités sont confortables à l’échelle mondiale.
Les incertitudes sont encore nombreuses sur les potentiels de production en Amérique du Sud, et notamment au Brésil avec un écart important entre l’estimation de l’USDA et celle des analystes locaux de la Compagnie nationale d’approvisionnement (Conab). Quoi qu’il en soit, la récolte brésilienne devrait être supérieure à 140 millions de tonnes, soit le deuxième plus haut niveau historique.
Plus au sud, les conditions climatiques favorables depuis les semis en Argentine rassurent les opérateurs. Selon la Bourse de Buenos Aires, 29 % des surfaces de soja sont notées en bonnes ou excellentes conditions, loin des 2 % de l’an passé à cette date. Ainsi, les perspectives de production restent optimistes, autour de 50 millions de tonnes, selon l’USDA, contre 25 millions de tonnes en 2023.
Avec ces bons niveaux de production, les disponibilités sud-américaines arrivent progressivement sur le marché, ce qui permettra d’accélérer l’activité de trituration. Les approvisionnements de tourteaux devraient être facilités en Europe.
Les regards se tournent également vers les États-Unis. Cette semaine, il était intéressant de suivre le rapport de l'USDA sur les surfaces américaines de soja en 2024. L’évolution du ratio soja/maïs depuis plusieurs mois a été favorable à une augmentation de la sole de soja à 86,5 millions d’acres, en hausse de 3 % par rapport à l’an passé. Ce chiffre n’a pas surpris les opérateurs du marché et, sans incident climatique majeur, les bilans s’annoncent confortables en nouvelle campagne.
À suivre : conditions de culture : sécheresse en Russie et au Kansas (États-Unis), pluies en Europe de l’Ouest ; compétitivité des grains origine mer Noire ; regain de tensions géopolitique et logistique en mer Noire ; évolution des semis de soja et de maïs aux États-Unis ; accélération de la trituration sur les continents européen et américain.
(1) Argus Media, société spécialisée dans le suivi des marchés des matières premières, nous livre son analyse agricole hebdomadaire.