La spirale baissière s’est arrêtée et laisse la place à un regain de fermeté, emmené par de nouvelles tensions en mer Noire, un rebond de l’huile de palme et des inquiétudes portant sur les conditions de culture de la nouvelle récolte. Celle-ci est au cœur des débats. Les estimations de production de blé, maïs et soja sont annoncées confortables malgré des conditions météo qui commencent à se dégrader localement. L’activité de l’industrie de la trituration bat son plein, alimentant la demande internationale de tourteaux.
Prix du blé : regain de fermeté
Après avoir touché son plus haut niveau de campagne au début du mois, les prix du blé meunier regagnent en fermeté, dans le sillage de l’ensemble du complexe céréalier. Le blé rendu Rouen s’affiche désormais à 188 €/t, reprenant 3,50 €/t sur la semaine.
Sur la scène géopolitique, les tensions s’accentuent autour du port d’Odessa, en Ukraine, même si les chargements restent toujours relativement dynamiques. Mais c’est vers la nouvelle campagne que se porte de plus en plus l’attention des opérateurs. À l’approche printanière de la période à risque, quelques inquiétudes se soulèvent.
En premier lieu, l’excès d’humidité en France laisse les conditions de culture dégradées. La part des surfaces en bonnes ou excellentes conditions se stabilise cette semaine à 66 %, contre 94 % l’an passé à la même période. Parmi les nouveaux éléments, un début de sécheresse est sous surveillance dans le district du sud de la Russie, bassin concentrant plus de 40 % de la production des blés d’hiver. Pour autant, il est encore trop tôt pour acter une baisse de potentiel, les conditions ayant été presque optimales jusque-là.
Ce regain de fermeté reste limité par les volumes encore disponibles en mer Noire, et par la compétitivité de ces origines. Si le prix du blé russe Fob Novorossiysk revient au-dessus du seuil psychologique des 200 $/t, l’écart avec l’origine hexagonale se creuse, dépassant à présent les 10 $/t.
Au milieu de ces incertitudes, l’Égypte est revenue cette semaine aux achats, après avoir annulé son précédent appel d’offres. Ce retour reste fragile, seules 110 000 tonnes de blés bulgares et roumains ont finalement été achetées.
Cours du maïs : une production sud-américaine au centre de l’attention
Depuis deux semaines, le marché du maïs retrouve des couleurs en rebondissant de 11 €/t pour revenir à 179 €/t rendu Bordeaux, son plus haut niveau depuis la fin de janvier. Malgré une lourdeur toujours persistante sur le Vieux Continent, le regain de fermeté des cours internationaux soutient celui des cours européens.
Le prix du maïs ukrainien Fob Odessa reprend 6 $/t sur les quinze derniers jours. La dynamique des ventes américaines à l’exportation reste soutenue, dépassant le million de tonnes hebdomadaires pour la quatrième semaine consécutive. Cette bonne dynamique américaine se maintient dans l’attente de l’arrivée de la récolte sud-américaine.
C’est d’ailleurs sur cette région du monde que se concentre l’attention des opérateurs. En Argentine, des pluies trop abondantes pourraient endommager les cultures. Face à cela, la Bourse de Buenos Aires a abaissé son estimation de production de maïs de 2,5 millions de tonnes pour la fixer à 54 millions de tonnes.
Dans le même temps, une vague de chaleur lève de premières craintes sur les récoltes du Paraguay et du sud du Brésil, à un mois de la période clé de la floraison. En revanche, les conditions s’améliorent au Mato Grosso, État produisant un tiers de la récolte domestique brésilienne.
Après des semis plus rapides qu’attendu, des pluies salvatrices viennent favoriser un bon début de cycle des maïs safrinha. Dans ce contexte, l’évolution des conditions météorologiques en Amérique latine sera déterminante dans les prochaines semaines afin de confirmer ou non ce regain de fermeté.
Colza : énergies et huiles végétales au soutien du colza
Le secteur des huiles végétales profite du soutien des énergies. L’agence de l’énergie américaine, EIA, met en évidence dans son rapport du mois de mars, la hausse de consommation de pétrole depuis le début de l’année 2024 à l’échelle internationale. Cette croissance devrait se maintenir au cours des prochains mois dans un contexte de réduction des extractions de pétrole de l’Opep jusqu’au mois de juin.
La tension qui s’installe sur le marché de l’or noir pousse le prix du baril aux États-Unis à évoluer sur son niveau le plus haut depuis octobre dernier. Les huiles végétales accompagnent ce mouvement. À Rotterdam, l’huile de palme fait office de leader dans le secteur oléagineux. Le prix du palme CIF Rotterdam rebondit à 1 022 €/t, un niveau plus haut depuis un an.
À cette situation s’ajoute la tension toujours présente en Malaisie en raison de la baisse saisonnière de production de palme. Celle-ci s’accompagne d’un ralentissement de la demande asiatique qui voit les stocks des principaux importateurs diminuer mois après mois. Forte de ce soutien, la graine de colza rendu Rouen enregistre sa troisième semaine de hausse consécutive, gagnant 13 €/t pour atteindre 443 €/t.
Le marché européen devrait être suffisamment approvisionné sur la fin de la campagne par les offres australiennes ou encore canadiennes. Les opérateurs surveillent néanmoins à plus long terme la baisse de production attendue en Europe pour la prochaine campagne. Il en est de même au Canada où les semis seront à suivre attentivement alors que les surfaces sont déjà attendues en baisse de 3 % par rapport à 2023 selon StatCan, l'office canadien de la statistique.
Enfin, le jeudi 28 mars 2024, le département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) publiera son rapport sur les intentions de semis aux États-Unis pour la récolte de maïs et de soja de 2024. Ce dernier pourrait, au regard des prix bien plus rémunérateurs aux États-Unis par rapport à la céréale, prendre des surfaces dans les prévisions du ministère américain de l’Agriculture.
Soja : niveaux de trituration de soja records
Entre la hausse des prix des huiles végétales et l’augmentation de la demande en biodiesel, les activités de trituration s’accélèrent. Le dernier rapport de la National Oilseed Processors Association (Nopa) affiche d’ailleurs des estimations records aux États-Unis avec 186,2 millions de boisseaux de soja trituré en février 2024 contre 165 millions à cette même période l’an passé et 178 millions en moyenne quinquennale.
Le rythme devrait continuer sur ces niveaux puisque 190 millions sont attendus en mars. La dynamique de l’activité devrait également être soutenue au Brésil et en Argentine puisqu’au total les trois pays pourraient triturer 13 millions de tonnes « de soja au mois de mars, un niveau plus haut depuis juin 2023.
Automatiquement, cette accélération de la trituration entraîne une augmentation des disponibilités de tourteaux sur la scène internationale. D’après l’USDA, la production mondiale de tourteaux pourrait augmenter de 4 % sur la nouvelle campagne. En plus d’être soutenue par l’activité de trituration, la production de tourteaux est stimulée par celle de soja attendue record en Argentine, au Brésil et aux États-Unis.
En cumulé, la production de ces trois pays pourrait atteindre 319 millions de tonnes sur la nouvelle campagne contre 303 millions de tonnes pour la récolte de 2023. Les conditions météorologiques restent néanmoins cruciales pour atteindre ce niveau. D’ailleurs, les conditions de culture en Argentine sont annoncées à 84 % dans un état jugé normal à excellent contre seulement 28 % l’an passé à la même période.
En France et en Europe, les approvisionnements en tourteaux s’annoncent donc confortables. La forte activité de trituration, couplée à une estimation de production record, pèse sur les cours. Le tourteau de soja rendu Montoir continue de chuter, terminant la semaine à 438 €/t, soit une baisse de 4 €/t depuis vendredi 15 mars.
À suivre : Conditions de culture : début de sécheresse en Russie et au Kansas (US), pluies en Europe de l’Ouest, météo hétérogène en Amérique latine : pluies au Mato Grosso et en Argentine, vague de chaleur au Paraguay, compétitivité des grains origine mer Noire, regain de tensions en mer Noire, fermeté de l’huile de palme, accélération de la trituration sur le continent américain.
(1) Argus Media, société spécialisée dans le suivi des marchés des matières premières, nous livre son analyse agricole hebdomadaire.