Dans l’Yonne et au nord de la Côte-d’Or, les résistances majeures acquises par l’altise d’hiver et le charançon du bourgeon terminal ont fortement réduit l’efficacité des traitements insecticides de la famille des pyréthrinoïdes, mettant en cause la rentabilité des rotations traditionnelles colza-blé-orge, ainsi que l’équilibre financier des exploitations.

Lancé en mars dernier, le projet R2D2 (1) doit aider les producteurs de ces zones intermédiaires à faible potentiel à retrouver des niveaux de productivité et de revenu satisfaisants, tout en ayant un moindre recours aux insecticides. Comment ? En imaginant et en testant de nouveaux systèmes de cultures, avec des aménagements paysagers favorables à la faune auxiliaire. « A terme, une réduction proche de 100 % des IFT (2) insecticides et d’au moins 50 % des IFT totaux est visée, annonce Nicolas Cerrutti, de Terres Inovia, l’organisme porteur du projet (3).

Test grandeur nature sur 1 000 hectares

Mis en place dans deux communes de l’Yonne – Joux-la-Ville et Nitry –, et sur une zone pilote d’environ 1 000 ha, le programme va s’étaler jusqu’en 2023. Pour l’instant, sept exploitations volontaires sont impliquées. Deux pistes d’action majeures ont été retenues : l’amélioration de la régulation naturelle des ravageurs (altise d’hiver, charançon du bourgeon terminal, limaces, méligèthes, pucerons des épis), et l’augmentation de la robustesse des cultures (colza, céréales, mais aussi lentilles, pois…).

La première idée est de favoriser les insectes auxiliaires déjà présents, tels que les prédateurs du sol (carabes, araignées, staphylins), les agents régulateurs des pucerons (syrphes, chrysopes et coccinelles) et certains hyménoptères parasitoïdes (microguêpes). Ces derniers sont particulièrement efficaces sur les coléoptères ravageurs du colza. « Beaucoup d’insectes mangent du nectar et du pollen au stade adulte, or cette ressource est souvent limitée et peu accessible, constate Nicolas Cerrutti. L’objectif est donc d’accroître la disponibilité spatio-temporelle des ressources florales d’intérêt, en identifiant et en favorisant les espèces qui produisent du nectar et du pollen accessibles pour ces insectes : sarrasin, phacélie, lotier corniculé, féverole, pâquerettes, carottes, soucis, fenouil, coriandre… »

Les traitements insecticides potentiellement nocifs pour la faune auxiliaire seront progressivement réduits, des zones sans travail du sol maintenues, et des bandes fleuries implantées dès ce printemps. Des contacts ont été pris avec les communes concernées et la société d’autoroute APRR, dont 7 kilomètres d’axes routiers bordent les champs des agriculteurs. Cela afin d’envisager une gestion différente des bordures d’infrastructures routières.

Régulation naturelle faible

Il y a du travail. Malgré un paysage relativement favorable (présence de haies et bosquets), le niveau de régulation naturelle des ravageurs mesuré au démarrage du projet est très faible : le pourcentage de larves de méligèthes parasitées n’a pas excédé 2,5 % au cours de la campagne 2018, alors qu’il peut atteindre plus de 90 % en situation favorable. Le constat est le même pour le parasitisme de l’altise d’hiver.

Afin d’accroître la robustesse des cultures, les agriculteurs devront imaginer, tester et évaluer une combinaison de leviers agronomiques : allongement et diversification des rotations, amélioration de la fertilité du sol, réduction du travail du sol, associations d’espèces (colza + légumineuses gélives) et de variétés.

« Pour les colzas, précise Nicolas Cerrutti, il s’agit de sécuriser l’implantation et de favoriser une croissance rapide et continue à l’automne, afin d’esquiver les attaques de ravageurs et obtenir une plante moins sensible aux dégâts de larves. Un ajout de 10 % de variétés très précoces est envisagé pour piéger les méligèthes. »

Pendant les six ans du projet, les agriculteurs bénéficieront d’un conseil individualisé et, surtout, d’une animation de groupe visant à favoriser la cohérence des actions à l’échelle du territoire : assurer la connexion des bandes fleuries, optimiser l’assolement à l’échelle du territoire pour faciliter la régulation, etc. Favoriser la régulation naturelle nécessite un changement d’échelle de travail, qui dépasse celle de l’exploitation.

Anne Bréhier

 

(1) Restauration de la régulation naturelle et augmentation de la robustesse des cultures pour une réduction durable de la dépendance aux insecticides.

(2) Indicateur de fréquence de traitement.

(3) Terres Inovia en partenariat avec Arvalis, l’union des coopératives Seine-Yonne, Soufflet agriculture, Dijon céréales, la chambre d’agriculture de l’Yonne et l’Inra UMR agronomie, la Fop et Nungesser semences.