C’est la reine des reines : Tracy est la seule vache française à avoir gagné un combat international de hérens de l’Espace Mont Blanc. En 2015, déjà dotée d’un beau palmarès, elle a rempli de fierté ses éleveurs, Christophe et son fils Thibault Cloitre, en arrachant la victoire à ses congénères suisses et italiennes. Elle n’a plus combattu depuis. « Par respect, on la laisse tranquille », indique Christophe. Elle fait encore des veaux et mourra de sa belle mort à la ferme des Hérens, dans le massif de Chartreuse, entre l’Isère et la Savoie, à Saint-Pierre-d’Entremont.
« Les reines sont nos vaches de cœur : on les garde jusqu’à la fin, abonde Thibault, qui s’est installé avec son père en Gaec en 2015. Certaines sont mortes à 20 ans d’un AVC après nous avoir donné quatorze veaux. » Le prestige d’une victoire internationale est d’autant plus grand que de l’autre côté des Alpes, les hérens sont souvent sélectionnées sur leur aptitude au combat. En France, des « combats de reines » sont aussi organisés, mais les 1 100 vaches inscrites sont élevées d’abord pour leur lait ou leur viande.

Saucisson primé
Rustiques, bonnes marcheuses et courtes sur pattes, elles sont adaptées à la montagne. « Elles vêlent bien et les veaux sont debout et prêts à téter dans la demi-heure, constate Thibault. Tardives, elles atteignent leur poids adulte à cinq ou six ans. Les carcasses ne font que 350 kg en moyenne, mais avec un très bon rendement car les os sont fins. » Du côté gustatif, « la hérens donne une viande plus typée que la charolaise », apprécie Mélissa, l’épouse de Thibault qui dirige le labo de transformation et le magasin.
Une soixantaine de bêtes par an y sont transformées en viande fraîche, plats en conserve et charcuteries. Chaque semaine y sont notamment élaborés 250 kg de saucisson de hérens. Il a été primé au Gault et Millau et au mondial du saucisson de l’académie Rabelais, mais à ces médailles posthumes, les vaches préfèrent sans doute les trophées gagnés de leur vivant.

Dans le bureau, des dizaines de cloches d’ornement témoignent d’autant de victoires. La première date de 1998. « Mon père, qui avait des charolaises, a acheté un lot dans lequel se trouvait une hérens, raconte Thibault. Il a eu le coup de cœur pour cette vache qui a pris la tête du troupeau. Cette année-là, a été organisé le premier combat de reines entre les éleveurs du coin qui avaient une hérens. La nôtre, Marmotte, l’a emporté. » À la ferme, cette race a supplanté petit à petit la charolaise. En même temps, la transformation et la vente directe se sont développées et diversifiées.
Tempérament de feu
La progression des effectifs de la race en France a redynamisé la tradition des combats. La famille Cloitre en organise un à la ferme, à chaque fin d’été. Le titre de reine y est disputé par une centaine de vaches venues de la région ou de plus loin. Impressionnantes mais non sanglantes, ces luttes spontanées pour fixer leur rang social stoppent au premier signe de capitulation.
Au quotidien, ce tempérament de feu est délicat à gérer. L’hiver, les vaches et les bœufs à l’attache sont parfois changés de place parce qu’ils se battent. Au printemps, impossible de sortir toutes les vaches ensemble. « On les lâche en petits lots pour qu’elles créent leur hiérarchie, indique Thibault. On forme les groupes en fonction des dominantes et dominées, mais elles remettent régulièrement leur titre en jeu. »
« Une vache arrivant dans un lot constitué peut se faire mettre dehors par les autres, complète Christophe. Il leur est même arrivé de m’abîmer un taureau ! » En revanche, jamais de violence envers les éleveurs. « Pour nous, elles n’ont que de l’affection et de la gentillesse, témoigne Thibault. Même les plus craintives sont facilement calmées et se mènent au licol comme des petits chiens.»