«Approvisionner des restaurants collectifs en viande, c’est impossible ! » Cette phrase, Stéphane et Isabelle Turbeaux l’ont beaucoup entendue et la réfutent. La preuve, ils fournissent aujourd’hui deux écoles, sept collèges et trois lycées.

Il y a trois ans, les ventes aux particuliers s’essoufflent peu à peu. Les éleveurs sont installés à Vallières-les-Grandes, à l’ouest du Loir-et-Cher, où de plus en plus de producteurs se lancent dans l’aventure de la vente directe. Leur zone de chalandise se réduit de 50 à 20 km. Dès 2002, les parents de Stéphane ont construit un laboratoire de découpe pour vendre des caissettes de viande. « Stéphane s’est installé seul en 2003. Nous avons mis dix ans à être six personnes sur l’exploitation, dont trois au laboratoire et un apprenti. Il faut sans cesse retrouver des marchés », insiste Isabelle, qui a quitté son travail en laboratoire d’analyses pour le laboratoire de découpe.

Le déclic arrive lorsque Stéphane est convoqué par le proviseur du collège de son fils. « Notre fils avait fait une bêtise, et mon mari, commercial dans l’âme, a placé que nous produisions de la bonne viande », se souvient Isabelle. Le rendez-vous est pris avec la gestionnaire et les éleveurs commencent à approvisionner le collège. Quelques mois plus tard, le Club des cuisiniers du Loir-et-Cher, rassemblant des chefs et seconds de cuisine des collèges, visite la ferme. Séduits, d’autres chefs commandent à leur tour de la viande. Les réunions entre le conseil départemental et la chambre d’agriculture arriveront quelques mois plus tard.

« J’ai mis du temps à comprendre les besoins de la restauration collective, confie Stéphane, diplômé en production agricole et d’une école de commerce. Il a fallu beaucoup de rencontres et d’explications. Mais au final, nous avons réussi à nous entendre et à tisser des relations particulières. »

S’adapter aux besoins

Le couple change ses pratiques et les chefs cuisiniers leur mode de cuisson. Pas question de fournir douze langues de bœuf ou cinquante côtes de bœuf. Mais la blanquette ou un carré de côtes entier passent très bien. Avec certains chefs, Stéphane va même jusqu’à élaborer des recettes. C’est le cas avec Sébastien Brun, cuisinier du collège de Bléré (Indre-et-Loire), avec qui il a confectionné la saucisse rabelaisienne, un mélange de bœuf et de chèvre. Ce chef soumet des plats d’exception aux élèves, tout en se fournissant à 36 % en produits locaux, avec un budget matière première de 1,85 € par assiette. Isabelle et Stéphane proposent aussi des saucisses et de la sauce bolognaise, pour valoriser les parties basses.

Sur le choix des pièces de viande, Isabelle reste ferme : les chefs doivent équilibrer les avants et les arrières sur plusieurs commandes. Le prix est unique, aussi bien pour les particuliers que pour les collectivités : 12 €/kg en bœuf et 14 €/kg en veau. Aujourd’hui, Stéphane continue de rechercher des restaurants scolaires à livrer. Il accompagne aussi certains éleveurs, également clients pour une prestation de découpe, à démarcher les établissements. « Nous avons chacun notre territoire. Plutôt que d’être en concurrence, je les aide », dit-il.

Le rôle de chacun est bien défini. Stéphane fait l’interface entre les collèges et le laboratoire de découpe. Il va chercher les bêtes et les emmener à l’abattoir. Isabelle réceptionne les commandes, puis se débrouille pour sortir les quantités souhaitées à plus ou moins 10 grammes près. Willy et Amanda, les deux salariés, découpent et conditionnent. Stéphane passe une journée par semaine à livrer les établissements. « J’ai toute confiance en mon salarié qui gère très bien le troupeau et les cultures », ajoute-t-il.

Avec cette activité chronophage, Isabelle et Stéphane ont dû arrêter certains marchés, comme La Ruche qui dit Oui. Pour les particuliers, ils privilégient la vente en caissette et assurent l’ouverture de leur magasin deux fois par semaine. À quarante-quatre et quarante-sept ans, ils pensent déjà à la transmission. « Se lever à 5 heures du matin, travailler dans le froid, porter des cartons lourds… Ça fatigue ! », glisse Stéphane. Mais avant, ils ont encore des projets plein la tête : un magasin de producteurs pour 2019. Et pourquoi pas obtenir l’agrément steak haché, découper du porc ou ouvrir un restaurant « boîte à burger » ?

Aude Richard