Mardi après-midi, tous les quinze jours, c’est « Zeybu marché » à Eybens, petite commune de la banlieue de Grenoble (Isère). Charles Granat arrête sa camionnette devant le local de l’association Zeybu, transformé en boutique. Depuis bientôt dix ans, ce producteur d’œufs et de légumes bio livre ce marché pas comme les autres, géré par une équipe de bénévoles.

Le Zeybu absorbe environ 10 % de sa production, le reste est commercialisé en Amap, sur les marchés ou à la ferme. « Je fixe le même prix de vente quel que soit le canal, précise-t-il. Mais ici, pour douze œufs vendus, j’en offre un, et pour un kilo de carottes vendu, j’ajoute 10 % en don. » Telle est la règle de l’association. « Pour chaque commande passée, les producteurs font un don en nature proportionnel à la commande, explique Christine, l’une des fondatrices. Sans qu’il s’agisse obligatoirement du même produit : aujourd’hui, Charles a livré des salades et des carottes, et donné des bottes de radis. »

Ces produits supplémentaires, livrés en même temps que les commandes, viennent alimenter le « marché solidaire ». Le produit de leur vente permet de créditer le compte de bénéficiaires de la banque alimentaire, qui pourront à leur tour dépenser cette somme dans la boutique. Pour ces derniers, qui représentent environ un dixième des adhérents à l’association, le Zeybu marché offre « un accès à des produits frais, locaux, souvent bio, qu’ils ne trouvent pas à la banque alimentaire, comme des jus de fruits frais, des fromages fermiers, etc., souligne Christine. Et en achetant dans la boutique, ils font tourner la boucle solidaire : les commandes déclenchent du don, mais ces dons redéclenchent des commandes ».

Donner sans stigmatiser

Même si le don de 10 % en nature demande un petit effort de la part du producteur, Charles Granat ne s’estime pas perdant. D’abord parce qu’il avait « la volonté de faire un don solidaire ». Ensuite, parce que, comme tous les producteurs, il livre les volumes commandés en vrac. « Je ne gère ni le conditionnement ni la commercialisation, réalisés par les bénévoles, donc je gagne en temps de travail. Et cela me permet d’écouler du volume avec la certitude que tout ce qui est livré est vendu. Je ne risque pas de repartir avec mes salades, comme au marché. » Et puis il a été séduit par ce « système innovant où ceux qui bénéficient de la solidarité ne sont pas étiquetés. » En effet, « les personnes précaires passent leur commande, viennent la chercher et règlent en caisse comme tout le monde, grâce à la monnaie solidaire, sans qu’il soit écrit sur leur front qu’ils bénéficient de l’aide alimentaire », souligne Christine.

Une offre qui s’étoffe

La boucle solidaire du Zeybu, en mouvement perpétuel depuis bientôt dix ans, a suscité un intérêt au-delà des frontières puisqu’elle s’est vu décerner, en 2013, le prix du Réves, Réseau européen des villes et régions de l’économie sociale.

Démarré avec un unique fournisseur (Charles) et un unique produit (des œufs), le Zeybu s’est étoffé au fil des ans. Une vingtaine de producteurs des communes environnantes y vendent désormais des fruits et légumes, œufs, fromages, viande, farines, confitures…

L’association compte actuellement près de 230 adhérents, et ils sont autour de 80 à passer commande à chaque Zeybu marché. Le logiciel développé pour gérer les comptes des adhérents est loué à une autre association… Car cette initiative a fait des émules. Le Zeybu2Claix, né il y a cinq ans dans une commune voisine, écoule une quarantaine de paniers par semaine, sur le même concept.

Bérengère Lafeuille