«Nous allons être en rupture de stock pour Noël. » À quelques semaines des fêtes de fin d’année, Anne Grémiau sait déjà qu’elle ne pourra pas fournir tous ses clients en fromages de chèvre. Avec sa famille, elle est installée dans le parc régional des étangs de la Brenne, au sud de l’Indre. Le territoire n’est pas un haut lieu touristique, mais la renommée du fromage pyramidal, le pouligny-saint-pierre, et la qualité du produit attirent les consommateurs.

« Sur notre exploitation, nous avons tout pour produire davantage, sauf la main-d’œuvre, se désole la jeune femme de 37 ans. Cela fait deux ans et demi que nous recherchons une personne pour la traite et la transformation, en complément de notre salariée. Nous sommes à une heure d’une grande ville et les horaires de la fromagerie rebutent les candidats. Ça fait mal au cœur de limiter la production alors que nous avons des débouchés. »

Une organisation du travail optimisée

Marie et Yvon Perrin, ses parents, se sont installés dans les années 1970. Hervé, leur fils, est arrivé en 1998. L’exploitation intégrait trois productions : céréales, bovins allaitants et fromages de chèvre vendus à un affineur. Anne les a rejoints en 2009, après des études d’infirmière. « Les deux métiers m’attiraient. Mais j’ai eu envie de revenir pour développer la vente directe », ajoute-t-elle. Cette année-là, la famille Perrin, qui livrait ses fromages à un affineur, se lance dans la transformation complète. Les débuts sont très difficiles. « On s’est pris une grande claque, se souvient Anne. Du jour au lendemain, l’affineur ne voulait plus de nos fromages et nous n’avions pas encore de débouchés pour les écouler. Nous nous sommes retrouvés avec une montagne de pouligny sur les bras ! »

En bataillant, les producteurs font peu à peu leur place au sein des grandes surfaces et à Rungis. Trois ans après l’installation d’Anne, ils ouvrent un magasin à la ferme. « Le pouligny a un ancrage local. Nous devions le proposer sur l’exploitation. Le fait de supprimer les intermédiaires permet également d’augmenter la marge », souligne Marie Perrin qui s’occupe de la vente au magasin, tous les matins, avec sa fille.

Parallèlement au développement de la vente directe, l’exploitation optimise l’organisation du travail. Un rototraite permet de traire les 230 chèvres en une heure. Dans la fromagerie, tout est pensé pour ne pas peiner. Les salles sont agencées en fonction du circuit de fabrication du fromage, un chariot élévateur soulève le lait caillé à hauteur des tables, et il suffit d’un coup de poignet pour retourner quatre-vingts fromages en même temps. La famille Perrin a créé ce prototype de table à retournement, il y a trois ans, avec un artisan local, Paul Jeanneau. Aujourd’hui, les sept producteurs fermiers de l’appellation en sont équipés. « Avant, nous portions le bloc de 20 fromages à bout de bras. Cela nous a changé la vie ! » souligne Yvon, retraité de l’agriculture et salarié sur la ferme.

Trois circuits de vente

Après un passage de onze jours en chambre d’affinage à 12 °C, les fromages sont soigneusement présentés dans la vitrine du magasin, sous différentes formes : pouligny, bûches, cœurs ou encore crottins. Les créations évoluent en fonction de la demande des clients. Pour Noël, les plus fidèles auront le droit à une pyramide miniature, une portion de pouligny individuelle. En trois ans, les ventes à la ferme ont bondi de 8 à 20 %. Et tout ça « sans publicité ! » précise Anne. En plus du magasin, les grandes et moyennes surfaces représentent 50 % des clients. Anne les livre deux fois par semaine, dans un rayon de 80 km. Les grossistes (Rungis, Nantes) vendent 30 % des volumes. L’été, Marie et Anne font quelques marchés de producteurs. Mais elles sont vite confrontées à un problème de stock. « Comme beaucoup d’éleveurs, nous travaillons plus de 65 heures par semaine, avec seulement une semaine de vacances par an. Ce n’est pas tenable. Si nous trouvons un salarié, nous pourrons augmenter notre cheptel. Tout est prévu. Mais en ce moment, nous diminuons notre production », confie Anne, qui garde le sourire malgré les incertitudes.