Quand Delphine et son frère Cédric décident de reprendre la ferme de leurs parents à Château-Landon, dans le sud de la Seine-et-Marne, rien n’est évident : seulement 36 hectares de terres franciliennes, dont une partie en location, et les deux enfants en question ont déjà un travail, sans lien avec l’agriculture. Seulement, leurs racines sont aussi très fortes. Leur père, François, leur a déjà montré la voie : pour reprendre et garder les terres de ses parents, il a travaillé toute sa vie en parallèle dans une usine. Delphine, 37 ans, et Cédric, 39 ans, vont suivre ses traces. Et la porter bien au-delà, grâce à Annabelle : l’épouse de Cédric, 39 ans, va rapidement devenir le premier de cordée du trio. Elle est la seule aujourd’hui à travailler à temps plein sur la ferme de Fontaine.
Une opportunité s’est présentée en 2012 aux enfants Sienski, quand la Safer a mis en vente des terres aux portes de l’exploitation familiale. « 18 ha qui touchaient certaines de nos parcelles, se souvient Delphine. Ces terres avaient été laissées en jachère depuis très longtemps. Cela signifiait donc que l’on pouvait les cultiver directement en bio. » Car si les deux jeunes acceptent de reprendre le flambeau, c’est en imposant leur conviction pour l’agriculture biologique : « Nos parents n’étaient pas du tout convaincus, mais depuis, ils ont changé d’avis. » Cette condition leur a en tout cas probablement permis d’acquérir les terres face aux autres candidats. « Nous avons aussi fait la différence avec la proposition de valorisation directe de notre production, à savoir la transformation en pâtes bio, poursuit Annabelle. Le projet prévoyait par ailleurs mon installation. Ça a certainement joué en notre faveur. »
Un cousin de la famille décide dans le même temps de les encourager dans leur démarche en leur louant 10 ha voisins supplémentaires. François, le père, prend sa retraite en 2012. Les deux enfants prennent alors sa succession et créent ainsi une EARL à parts égales.
De son côté, et à l’issue de son parcours à l’installation, Annabelle les rejoint dans la société en 2014. Au final : réunis sur une exploitation unique, Cédric et Annabelle sont associés exploitants (Cédric travaille à l’extérieur), Delphine est associée non exploitante (elle s’occupe de la comptabilité avec sa mère Véronique et est aussi employée à côté) et François est salarié sur la ferme.
45 km entre l’exploitation et le laboratoire
Au total, l’EARL cultive 60 ha de polyculture. François, le doyen, s’y consacre. Annabelle, aussi pragmatique que créative, se concentre sur la transformation. Après une longue réflexion et un tour de France d’observation, le trio a choisi, pour se démarquer, de transformer lui-même sa production en pâtes bio. Il a construit son atelier de fabrication à 45 km de l’exploitation, là où vivent Annabelle, Cédric et leurs trois garçons (11, 8 et 5 ans), à Vitry-aux-Loges, dans le Loiret. « Nous avions un grand garage à disposition, nous avons ainsi décidé de le transformer en laboratoire de fabrication de pâtes », explique Annabelle qui en plus de les faire, les livre, démarche les clients, ou encore s’occupe des factures, etc.
Les Sienski produisent ainsi des pâtes à la farine de blé dur et de lentilles (pour les intolérants au gluten). Leur objectif est d’en proposer prochainement au petit épeautre. Ils commercialisent aussi des lentilles : « nous en avons récolté 8 tonnes cette année, et la demande est telle sur la région que l’on devrait tout vendre. » Pas de boutique à la ferme en revanche : « Au regard de notre organisation, ce n’était pas envisageable. On utilise une distribution déjà existante sur l’Île-de-France et le Loiret, en majorité des magasins bio, environ 120 points de vente. »
L’organisation est désormais rodée entre les différents membres de la famille qui accueille depuis février Jeanine, la mère d’Annabelle, embauchée à temps partiel au laboratoire. Si les débuts ont été durs, atteste le trio, « parce qu’au départ, on cultive en bio mais on ne peut pas vendre en bio, précise Annabelle, aujourd’hui, on commence à voir le bout du tunnel. » Avec deux impondérables : des emplois à l’extérieur pour deux d’entre eux et des heures au travail qui ne se comptent pas, pour tous.