La plus grande réserve artificielle d’eau des États-Unis est à l’agonie. Et ça pose un problème à Bryan Hartman, l’agriculteur qui préside le district d’irrigation de Maricopa-Stanfield, au sud de Phoenix (Arizona) : il va devoir trancher entre les différentes demandes d’eau des uns et des autres. « Les agriculteurs vont me demander combien d’eau ou de débit aurons-nous ? Et c’est ça qui déterminera les cultures possibles dans la région », explique-t-il le 12 août 2021 à Felicia Fonseca, journaliste d’AP news. S’il peut encore répondre aux demandes, c’est parce que le district a diversifié son approvisionnement. D’ici à la fin de l’année, neuf nouveaux puits devraient être ouverts dans son district pour ne plus dépendre du seul fleuve Colorado. On appelait cet immense fleuve le Nil de l’Ouest, pour dire son importance aux yeux des paysans et des habitants de cette partie des États-Unis. Mais ça, c’était avant.

Guidés par le manque d’eau

Dorénavant, les agriculteurs des grands États du Sud-Ouest sont entrés dans un mode de décision guidé en priorité par le manque d’eau. C’est le résultat d’une sécheresse continue qui atteint désormais une ampleur inédite. Une équipe de chercheurs, dirigée par Park Williams, professeur associé de l’université UCLA (Californie), a observé les cernes de croissance des arbres dans une région qui va du Wyoming au Nouveau-Mexique. Leur conclusion est terrifiante : la sécheresse continue enregistrée depuis vingt ans constitue la seconde pire sécheresse jamais connue depuis 1 200 ans, selon leurs conclusions publiées en 2020 dans le magazine scientifique Science.

Changer l’assolement

Jeune fermier entre Phoenix et Tucson (Arizona), Will Thelander regarde à ses pieds son champ sec qui s’assimile à un désert. « La ferme ressemblera à ça l’an prochain. Parce que nous n’aurons plus d’eau pour faire pousser les cultures partout où nous le voulons », pronostique-t-il toujours face à la journaliste d’AP news Felicia Fonseca. Il a déjà prévu de laisser 160 hectares en jachère l’an prochain pour ne pas utiliser l’eau. La ferme de 2 400 hectares, qu’il exploite avec ses parents, cultive principalement du maïs pour nourrir des vaches. Will Thelander remplace désormais cette culture par d’autres, moins gourmandes en eau. Il participe même à un programme de recherche sur la culture d’un arbuste résistant à la sécheresse, le guayule, et qui pourrait produire du caoutchouc pour les fabricants de pneus.

 

Il explique sa démarche de transition culturale dans cette vidéo d’AP news (en anglais).

 

Le plus grand réservoir du pays

À vrai dire, la zone est naturellement désertique sur une surface grande comme la France. On est dans le Grand bassin, une plaine sédimentaire entre les Rocheuses et la Sierra Nevada, et sur le plateau du Colorado. Mais, depuis les années 1930, le flux du Colorado a été dompté par un barrage grandiose à proximité de Las Vegas et à cheval sur le Nevada et l’Arizona. Il génère l’immense lac Mead qui est le plus grand réservoir d’eau du pays, avec ses plus de 32 000 km³ d’eau, alimentant une population de 20 millions de personnes dans le Nevada, l’Arizona et la Californie.

 

Une sécheresse depuis 1983

Du moins en temps normal. Le lac n’a plus atteint sa pleine capacité depuis 1983. Selon les prévisions de l’agence chargée de la gestion des ressources en eau, publiée le lundi 16 août 2021, d’ici à la fin de l’année, le lac Mead aura atteint son niveau le plus bas depuis sa création entre 1931 et 1936. Également alimenté par le Colorado, le lac Powell, deuxième réservoir des États-Unis, a atteint récemment son niveau le plus bas jamais enregistré, à seulement quelque 32 % de taux de remplissage.

 

 

Restrictions fédérales

Et la nouvelle que les agriculteurs attendaient est tombée ce jour-là en provenance du gouvernement fédéral. Pour la première fois de l’histoire, les autorités fédérales ont annoncé qu’elles procéderaient à des restrictions l’an prochain pour les États situés en aval du lac Mead, ce qui aura un impact pour des millions de consommateurs, notamment les exploitants agricoles. L’Arizona recevra ainsi environ 18 % d’eau en moins par rapport à une année normale, le Nevada 7 % de moins et le Mexique, où le Colorado finit sa course, 5 % de moins.

 

« Comme une grande partie de l’Ouest américain et dans nos bassins fluviaux interconnectés, le Colorado doit faire face à des défis sans précédent et qui vont en s’accélérant », souligne dans un communiqué Tanya Trujillo, une responsable de l’agence fédérale des ressources en eau. Selon une étude publiée l’an dernier par l’agence géologique américaine (USGS), le débit du fleuve Colorado a baissé en moyenne de 20 % depuis un siècle, et au moins la moitié de cette baisse peut être attribuée à l’élévation des températures dans la zone.